Le petit écran n’a pas toujours fait les belles heures de l’art. Certains, pourtant, ont marqué durablement les esprits. Alain Jaubert était de ceux-là, à l’instar d’un Jean-Michel Meurice, auteur notamment d’un remarquable documentaire sur Pierre Soulages en 1981, ou d’un Pierre-André Boutang, le père des Archives du XXe siècle, d’Océaniques et du magazine culturel Metropolis. Producteur et réalisateur de la série d’émissions Palettes, diffusée sur la Sept puis Arte de 1988 à 2003, Alain Jaubert est décédé le 15 mars 2025, à l’âge de 84 ans.
Né le 29 juillet 1940 à Paris, l’homme de télévision a fait ses humanités en Lettres et en Sciences à la Sorbonne avant de commencer sa carrière comme journaliste scientifique à La Recherche et au Nouvel Observateur. Chroniqueur de musique classique à Libération, ce touche-à-tout a aussi enseigné la philosophie à l’université Paris VIII-Vincennes et les théories de la couleur ou la photographie à l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, de 1983 à 1990. Ancien élève de Julien Gracq et marin, il a publié plusieurs ouvrages, dont Val Paradis, Goncourt du premier roman en 2005.
Après avoir travaillé à l’Institut national de l’audiovisuel, il réalise une quinzaine de films pour l’émission Océaniques (FR3) à partir de 1988, essentiellement des portraits d’artistes et d’écrivains – Karel Appel, Jorge Luis Borges, Carlo Ginzburg, Umberto Eco, Octavio Paz ou encore l’historien de l’art italien Giulio Carlo Argan. Il est, en outre, le producteur des vingt-trois numéros du magazine mensuel Les Arts (1990-1993). La collection Palettes pour Arte (1988-2003) comprend cinquante épisodes et connaîtra un succès international. Réalisée en coproduction avec de nombreux musées, du Louvre au Centre Pompidou, elle a été rassemblée dans un coffret DVD (Arte et les éditions Montparnasse).
Daniel Arasse, le brillant historien de l’art des Histoires de peintures, a publié un volume de descriptions d’œuvres sous le titre On n’y voit rien. Regarder la peinture, voir ce que le peintre et le tableau nous montrent, tel est son credo. Palettes s’inscrit dans une volonté comparable de dévoiler les secrets d’un tableau par le détail, au plus près de la toile.
Loin de tout sensationnalisme, la méthode d’Alain Jaubert consiste à analyser au scalpel une seule œuvre par émission, d’une durée d’environ 30 minutes, dans une approche pédagogique, accessible au plus grand nombre. Avec un objectif : nourrir le regard d’informations et de remarques d’ordre à la fois historique, esthétique ou technique, au fil d’une enquête souvent haletante. L’image montre ce que les propos décrivent. Le comédien Marcel Cuvelier assure la voix off. Alain Jaubert n’apparaît jamais à l’écran.
« Je suis resté fidèle au principe défini au départ, qui consistait tout simplement à partir de l’objet, du tableau qui est là, expliquait-il en 1995 au quotidien Libération. Je donne des informations, mais ce n’est pas un cours. J’essaie de créer une fluidité du récit, une découverte progressive d’énigmes successives, comme dans un film policier : vous avez plein d’indices, vous les oubliez instantanément, mais ils vous reviennent à la fin et vous servent à une ou plusieurs explications. »
Invité à un colloque à la bibliothèque L’Alcazar à Marseille, Alain Jaubert était ainsi revenu sur la genèse de son projet : « Vers 1984, nous étions encore en pleine période structuraliste ; la linguistique, l'analyse textuelle, la déconstruction de Derrida régnaient sur la culture. Un peu noyé dans cette ambiance, j'ai eu l'idée d'appliquer ces principes plutôt phénoménologiques à la peinture. J'étais souvent excédé par le fait que beaucoup d'historiens d'art de jadis s’attachaient à la biographie des artistes et parlaient assez peu des objets eux-mêmes, tableaux, dessins, fresques et autres productions graphiques. Toujours la vie passionnée de Vincent van Gogh, la vie tragique de Modigliani, etc. Et moi, ça me hérissait beaucoup. J'ai rédigé l'esquisse d'un film où on analyserait une œuvre, un tableau par exemple, en n’évoquant que les circonstances de sa fabrication : quel commanditaire ? Pour quelles circonstances ? De quel matériau est-il composé ? Quel support ? Quels pigments ? Quelle préparation et quels gestes pour aboutir à l'image que nous connaissons ? Quel a été le destin de l'œuvre après son achèvement ? Et ainsi de suite… Il s'agissait d'éliminer au maximum le romantisme des vies extraordinaires et la psychologie imaginaire dont certaines époques ont été très friandes, et la nôtre encore, au profit de la pure description d'un objet d'art que mon texte aurait extrait de son mur de musée pour en faire le découpage précis, à la façon des encyclopédies présentant en pièces détachées la bicyclette ou la baleine. »
La Dame à la Licorne, La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix, Nu descendant l’escalier de Marcel Duchamp, Le retable d’Issenheim de Grünewald, Le Bain turc de Dominique Ingres, Olympia d’Édouard Manet… Cette introduction à l’histoire de l’art, par sa rigueur et son approche originale et vivante, parle à l’œil, fait parler les toiles, entre palette du peintre et palette graphique. Modèle du genre, la collection Palettes s’est imposée comme une référence du traitement de l’art à la télévision.