L’exposition du Britannique Cerith Wyn Evans (né en 1958) au Centre Pompidou – Metz est perturbante à plus d’un titre. Tout d’abord, elle accueille le visiteur au niveau du grand hall du musée par une esquisse de jardin qui tient plus de la nature morte revisitée que d’une serre contemporaine. Un squelette de verre, suspendu à la voûte de l’architecture de Shigeru Ban et Jean de Gastines, culminant à près de 35 mètres, et crûment éclairé, domine ainsi une diagonale d’arbres en pot interrompue par des colonnes de tubes de néon éteints qu’accompagnent trois géodes d’améthyste protégées par des écrins en verre semblables à des caisses de transport transparentes.
UN ASSEMBLAGE VIBRANT
Il faut grimper à l’étage supérieur pour recevoir quelques réponses à cette forme inédite de rébus autour des notions de matérialité et d’immatérialité, d’extérieur et d’intérieur, de nature et de culture, d’environnement et de paysage. « Je vois chaque opportunité d’exposition comme une improvisation avec les circonstances, un engagement avec les matériaux, l’espace... sa singularité, son potentiel pour articuler un assemblage d’énergies – de champs, de plis et de flux », souligne Cerith Wyn Evans. Là, l’espace a été dépouillé à l’extrême et s’ouvre, par ses deux côtés opposés, sur la ville et le ciel à travers deux baies vitrées panoramiques, alors que les murs latéraux, longs de 80 mètres, sont entièrement tapissés de miroirs, un dispositif que l’artiste espérait mettre en œuvre depuis longtemps : « C’était un rêve! Je doutais qu’il puisse un jour se réaliser ! »
Le lieu d’exposition y devient dès lors sans limite, et tout ce qui s’y trouve s’y démultiplie à l’infini : une suite d’œuvres lumineuses et sonores que l’artiste a disposées à la manière d’un défilé spatial ou d’une chorégraphie vibrante autant que vivante, si bien que l’on en vient à se demander comment celles-ci tiennent entre elles. Tout s’y électrise, irradie, étincelle ; tout s’y répond, entre en résonance, se reflète et se réfléchit dans le même temps. Et surtout la lumière s’y convertit en son et le son en lumière, l’énergie en souffle et le souffle en énergie, la musique en silence et le silence en musique, le geste en espaces et l’espace en gestes, l’intentionnalité en présences et la présence en intentionnalités, au fil d’une véritable traversée de l’espace, du temps et de l’œuvre.
« J’appréhende une situation ou un événement visuellement difficiles à comprendre par les changements d’intensité lumineuse constamment volatiles et à peine perceptibles... une dynamique de frictions et de contradictions, répercutée, multipliée, occultée, difficile à définir avec des mots. Un défi à la représentation et à l’interprétation, analyse Cerith Wyn Evans. Pourtant, c’est en m’appuyant sur une notion lumineuse et brumeuse, ancrée dans un lieu qui évoque une rêverie que m’est apparu ce titre “Lueurs empruntées à Metz”. » Pour autant, l’on peut se demander s’il s’agit bien là de « lueurs » ou de « paysages » empruntés à Metz, tant l’extérieur, dans ses modulations d’atmosphère, est mis en symbiose de façon subtile avec l’intérieur et ses palpitations lumineuses et sonores. Et c’est là la force, l’intensité, voire le miracle, des recherches d’un artiste pourtant rare sur la scène de l’art contemporain – il n’avait pas eu d’exposition muséale en France depuis 2006 –, mais qui chaque fois font mouche.
UNE SENSORIALITÉ INÉDITE
Si toutes les œuvres ici s’accordent et s’harmonisent de façon précise et millimétrée, à l’instar des notes d’une partition ou des solistes d’un orchestre, chacune existe par elle-même et pour elle-même. Aussi ce projet volontairement polyphonique ne cesse-t-il de se transformer sur trois plans synchronisés au moins : d’un côté, celui de la lumière naturelle qui ne cesse de bouger, de varier et de se moduler au fil du jour comme de la nuit ; de l’autre, celui des œuvres dont l’énergie palpite tel un organisme doté d’une véritable vie interne ; et enfin la déambulation et les modes de perception des visiteurs eux-mêmes, de sorte que l’on peut se demander si leurs mouvements ne déclenchent pas les variations lentes ou rapides d’intensité de certaines sculptures – l’artiste se réfère ainsi à l’idée d’un « jardin de flânerie » particulièrement accueillant vis-à-vis du « jardin d’hiver » plus contemplatif du forum.
Pour exemples, adoptant le tempo d’une calme respiration, cinq colonnes constituées de LED s’allument lentement jusqu’à l’aveuglement puis baissent d’intensité jusqu’à la transparence absolue. Elles font écho à une sculpture voisine en verre translucide, dont les flûtes de cristal inspirent et expirent l’air ambiant au rythme d’un programme algorithmique. Fonctionnant en autonomie, elles émettent d’étranges bourdonnements. Mais si façonner le verre et jouer de la flûte requièrent l’intervention du souffle, l’humain, lui, a disparu, et l’œuvre d’art semble avoir trouvé son propre phrasé. Suspendus, des motifs abstraits de néon inspirés de la tradition japonaise du théâtre nô exécutent une danse frénétique. Sans oublier les mobiles de pare-brise endommagés de voitures ou de camions, ou encore les sculptures lumineuses, inspirées des premiers tableaux abstraits de Frank Stella.
Entre densité et dépouillement, mélodies et silences, lumières et ombres, fragilité et délicatesse, cette exposition cultive également une sensorialité inédite que n’aurait pas reniée Maurice Merleau-Ponty, lequel citait, dans L’Œil et l’esprit, le Monologue du peintre de Georges Charbonnier : « Dans une forêt, j’ai senti à plusieurs reprises que ce n’était pas moi qui regardais la forêt. J’ai senti certains jours que c’étaient les arbres qui me regardaient, qui me parlaient... Moi, j’étais là, écoutant... Je crois que le peintre doit être transpercé par l’univers et non vouloir le transpercer... J’attends d’être intérieurement submergé, enseveli. Je peins peut-être pour surgir. »
Telle une oasis surgie au cœur du musée, l’avènement de l’œuvre de Cerith Wyn Evans n’en est que plus intense à Metz.
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« Cerith Wyn Evans. Lueurs empruntées », 1er novembre 2024-14 avril 2025, Centre Pompidou – Metz, 1, parvis des Droits-de-l’Homme, 57020 Metz, centrepompidou-metz.fr