Elsa Sahal : Les vases sont debout, les potiches ont attrapé des jambes
Alors qu’elle avait entamé une série de sculptures à base de vases inspirés par le corps féminin, Elsa Sahal est retombée sur une phrase des Guérillères de Monique Wittig : « Les vases sont debout, les potiches ont attrapé des jambes ». Effet de hasard ou d’empreinte laissée par le roman, cela sonne comme un manifeste. À l’affirmation féministe portée par le jeu des métaphores se joint le goût de l’expérimentation, le sens du grotesque, et une joie manifeste. Car, si la fleur et la potiche sont les deux faces d’une même médaille frappée du poinçon patriarcal, la céramique a mis elle aussi longtemps à échapper aux préjugés. Amener celle-ci à la sculpture, cela signifie aussi prendre appui sur l’histoire du médium. Et le fait que les figures de l’artiste n’aient jamais ni tronc, ni tête, nous semble une façon d’être fidèle à cette histoire. Dans cette exposition particulièrement fournie, l’artiste a réuni sur des socles colorés, des familles de vases-femmes débordantes, de grappes de lilas ou de bouches de fleurs carnivores, ou de seins étirés comme des ballons de baudruches. Tous ces débordements et ces affaissements sont témoignages de vie et raillerie à l’encontre des statues trop fièrement dressées. Les « Vases amazones » sont de basse extraction, faites de superpositions de colombins avec des empreintes de doigts bien visibles. Les autres, nommées par leur prénom, et qui s’avancent en robes de soirées, appartiennent à la haute société. Le travail de la matière, les coulures et les flamboiements de l’émail se trouvent célébrés dans ce fier défilé.
Du 22 mars au 17 mai 2025, Galerie Papillon, 13, rue Chapon, 75003 Paris

Vue de l’exposition « Nanténé Traoré : To be absent does not mean to be dead » chez Sultana. Courtesy Sultana. Photo : Gregory Copitet
Nanténé Traoré : To be absent does not mean to be dead
Auteur et photographe, Nanténé Traoré raconte à travers ses images des histoires de tendresse et d’attachement entre des figures non normées. Pour lui, une photographie n’est jamais seule, et dans son accrochage très dispersé, il diversifie les supports, pratique le chevauchement, et multiplie les expérimentations. Travaillant exclusivement avec l’argentique, employant des papiers périmés et traitant parfois les négatifs avec de l’eau de javel, il use de ses prises de vues comme un matériau. Par le flou et le pointillisme, il retrouve le chemin du pictorialisme ; par la tache et le délavement, celui du cinéma expérimental dans la lignée de Stan Brakhage. L’influence du cinéma, on la trouve aussi dans la façon d’accrocher un gros plan encadré de deux visages qui s’embrassent dans un coin d’une grande photo de façade collée au mur. Chez Nanténé Traoré, le climat et le sentiment l’emportent sur l’information qu’est censée délivrer une bonne photographie. Disons alors que le sentiment, qu’il soit d’exaltation ou de mélancolie, est lui-même l’information. Dans cet espace de la galerie qui ressemble à une cellule ou à une alcôve, une photo a été mise à l’honneur au milieu de murs peints en rouge. C’est une vue en contre-plongée de deux corps imbriqués, cuisses et jambes qui viennent au-devant de nous. Sur la peau et sur les draps sont répandues des taches couleur fraise écrasée. Au-dessus du lit, c’est un bleu intense et irréel et, sur la droite, on voit un jaillissement d’écume. Il y a quelque chose de poétique et d’alchimique dans la vision de ce corps double et comme en apesanteur.
Du 15 mars au 19 avril 2025, Sultana, 75, rue Beaubourg, 75003 Paris

Vue de l’exposition « Amélie Bertrand : Country Life » chez Semiose. Courtesy Semiose
Amélie Bertrand : Country Life
Amélie Bertrand est connue pour sa conception très actuelle de la peinture de paysage à travers une approche qui manie le froid et le chaud. Le froid concerne le travail préparatoire. À partir d’images génériques repérées sur le Net en usant de quelques mots-clés, elle compose des décors à base de fleurs d’aspect mécanique, d’éléments végétaux, mais aussi de chaînes, de néons et d’éléments d’architecture carrelés. Grâce à Photoshop, elle obtient des dégradés et des superpositions de transparences d’une grande subtilité. Le chaud, c’est le travail de peinture à l’huile, avec pochoirs, en usant d’une technique à une seule couche qui donne à la surface un aspect ultra-net et lisse. L’hiver dernier, Amélie Bertrand avait été invitée à l’Orangerie pour une mise en relation avec les Nymphéas. « Country Life » semble porter des leçons de cette expérience. Un nouveau motif a fait son apparition dans une série de tableaux, celui de la massette ou quenouille, cette plante qui pousse au bord des rivières ou des étangs. Combinées à des formes arrondies et à des bandes, elles produisent un effet de rythme. Ces nouvelles compositions gagnent en abstraction et flirtent même avec le lumino-cinétisme. En disposant au milieu des salles des poufs de sa création, élément d’installation et objet d’usage, Amélie Bertrand nous invite à un double regard. Au plaisir de s’immerger dans une ambient painting s’ajoute celui de plonger dans le décor et de suivre les vibrations de la couleur.
Du 22 mars au 10 mai 2025, Semiose, 44, rue Quincampoix, 75004 Paris

Vue de l’exposition « Wei Libo : Homemade » chez (sans titre). Courtesy (sans titre). Photo : Aurélien Mole
Wei Libo : Homemade
Wei Libo a, par plusieurs liens, attaché son travail à une histoire familiale et à sa situation d’exilé. Référence y est faite à un père architecte et ébéniste autodidacte dont la maison a été détruite à l’occasion du boom urbanistique qu’a connu la Chine à la fin du siècle dernier. L’exemple du père a motivé le choix du bois et l’usage fréquent de la marqueterie. Avec le bois aussi, Wei Libo sculpte et peint très réalistement des fruits évocateurs de goûts de l’enfance. L’œuvre qui nous accueille dans « Homemade » est une large sculpture en bois qui s’appuie sur un muret arrondi en briques empilées avec art. La sculpture superpose quatre formes. Au premier plan, c’est une sorte de « U » teint en noir avec effet martelé, un « J » en panneaux de bois clair y est lové. Viennent ensuite un autre « J » en bois foncé martelé également et, clôturant le tout, un plateau en parquet. Sur la pointe inférieure du « J » clair est posé un melon. L’idée qu’il nous vient est que cette sculpture fonctionne un peu comme une lettrine ou simplement comme la marque d’un seuil. Ce sentiment est renforcé par la présence dans l’embrasure de la fenêtre d’un heurtoir de porte qui reproduit le même emboîtement de formes. Il n’est pas indifférent de savoir qu’en Chine, cette race de melons portait autrefois le nom du village natal de l’artiste.
Dans la deuxième salle, la figure centrale est un grain de riz géant en cuivre, fixé en légère oblique sur un double socle. Il porte à son sommet un disque marqueté sur lequel on remarque une goutte de sueur ou une larme. Cette « Grain’s celebration (rice) » d’inspiration brancusienne, est d’une ironie supérieure qui témoigne de l’attention à l’infime et d’une défiance à l’égard des représentations symboliques. Dans la même salle sont présentées deux petites boîtes en marqueterie. Gardiennes d’une mémoire, chacune d’elles contient un noyau de pêche en bois.
Du 15 mars au 19 avril, (sans titre), 13, rue Michel Le Comte, 75003 Paris