Lorsqu’il se confie en 2014 dans le documentaire que réalise François Hébel, dans le cadre des Rencontres internationales de la photographie d’Arles, le photographe Lucien Clergue évoque, peu avant sa mort, son histoire, ses rencontres et ses amitiés. Presque dix ans plus tard, jour pour jour, sa femme Yolande disparaît à son tour. Leur collection présentée aux enchères par la maison Ader se compose de trois parties. La première présente les œuvres d’art, les ouvrages ou la correspondance qui ont rythmé la vie du couple. La deuxième est consacrée à leur collection de photographies ; la dernière aux livres d’art, dispersés online.
Dans le premier catalogue, deux noms reviennent plus de cinquante fois chacun : Picasso et Cocteau. Ces artistes ont eu une importance capitale dans la vocation de photographe de Lucien Clergue. En 1953, celui que sa mère, décédée un an plus tôt, destinait à une carrière de musicien, assiste à une corrida lors de la Feria d’Arles. « J’ai vu le torero offrir le combat qu’il avait fait à un personnage, se souvient-il. J’ai demandé : "qui est-ce ?" et on m’a dit : "Picasso" ». Le jeune homme décide alors de courir jusqu’à son atelier chercher les quelques clichés réalisés depuis quelques mois. « Je lui ai mis sous le nez et il m’a dit ce mot merveilleux : "Je voudrais en voir d’autres" », se souvient-il. Picasso l’accueille deux ans plus tard dans sa villa La Californie à Cannes. Entretemps, Lucien Clergue est tombé à Toulouse sur la revue Photo Monde, dont la couverture est illustrée avec le fameux nu d’Edward Weston, dont on retrouve, dans la vente, une épreuve tirée par son fils, Cole, dans les années 1970 (Nude (Charis, Santa Monica), 1936, estimé 4 000 à 6 000 euros).

Ansel Adams, Moonrise. Hernandez, New Mexico, 1941, épreuve argentique, vers 1973). Courtesy Ader
L’autre grand rendez-vous du photographe l’attend un peu plus tard, en 1956, lorsqu’il rencontre Jean Cocteau. « À force de photographier des ruines et des charognes, j’ai eu peur de me retrouver seul et sans ami, s’amuse Lucien Clergue. C’est pourquoi j’ai décidé de réaliser mon premier nu sur la plage avec Denise. » Il montre alors les photos à Picasso qui lui dit : « Va voir Cocteau, il va te trouver un éditeur et je te ferai la couverture. » L’éditeur Pierre Seghers tombe amoureux des clichés et les intègre dans l’édition illustrée de Corps mémorable par Paul Éluard, préfacée d’un poème de Cocteau et pourvue, comme promis, d’une couverture de Picasso (Nu - Étude pour la couverture de Corps mémorable, vers 1956-1957, encre au pinceau, est. 15 000-20 000 euros). Dès lors, les rencontres s’enchaînent et ne faibliront jamais. En 1961, Edward Steichen, photographe légendaire et directeur du département Photo du MoMA à New York, l’invite à participer, avec Bill Brandt (Courses d’Auteuil. Paris, 1930, est 1 500-2 000 euros) et Yasuhiro Ishimoto (Sans titre [Nu], 1957, est. 1 000-1 500 euros), au 5e volet de son projet « Diogenes with a camera » au sein de l’institution américaine.
Viendra ensuite Jerome Hill, oncle de Peter Beard (Autoportrait aux diaries, vers 1980, est. 1 000-1 500 euros). Celui-ci lui confie toutes les épreuves d’Edward Weston en sa possession pour l’inauguration des 1re Rencontres internationales de la photographie d’Arles en 1970. Enfin, pour n’en citer que quelques-uns tant la liste est encore longue, Judy Dater (Imogen [Cunningham] & Twinka at Yosemite, 1974, est. 1 500-2 000 euros) et Jack Welpott (Financial District. San Francisco, 1980, est 300-400 euros) lui présentent l’immense Ansel Adams (Moonrise. Hernandez, New Mexico, 1941, est. 20 000- 30 000 euros), qui sera l’invité d’honneur de la 3e édition du festival en 1974.
« Collection Yolande et Lucien Clergue », jeudi 10 avril 2025, Hôtel Drouot & salle Grange Batelière, 75009 Paris, www.ader-paris.fr