Bice Curiger vient d’ouvrir à la Fondation Vincent van Gogh Arles sa nouvelle exposition « Sigmar Polke. Sous les pavés, la terre », qui met en relation l’œuvre du peintre avec ses photographies, comme il l’avait fait lui-même pour la première fois en 2005.
Au cours des quinze dernières années, considérez-vous que le dialogue de l’art contemporain avec l’histoire de l’art est plus important que par le passé ?
J’ai suivi avec plaisir ce qui s’est produit depuis quinze ans dans les grands musées : on sentait que les personnes qui travaillaient là avaient des difficultés à justifier leurs idées. Aujourd’hui, un changement générationnel rend ces situations beaucoup plus harmonieuses. Entre 1993 et 2013, j’ai eu la chance de faire des expositions au Kunsthaus Zürich, dans une institution fondée par des artistes, et non par un prince ou un homme d’État : la première Kunstverein, créée deux ans avant la Révolution française. En Suisse, comme nous n’étions pas une monarchie, nous avions besoin de collectionner et d’avoir des échanges avec des intellectuels en Allemagne. Il y a toujours eu au Kunsthaus Zürich des expositions d’art ancien, et même d’archéologie, parallèlement à des expositions d’art contemporain. Dans les années 1930, Pablo Picasso y a eu son premier accrochage dans un musée étranger. Il existe dans la collection des œuvres d’art dont certaines remontent à 500 ans, mais elles sont pensées au présent.
C’est aussi un lieu où le commissaire Harald Szeemann [1933-2005] avait organisé des expositions. Ils avaient accepté que je continue à m’occuper de la revue Parkett*1 que j’avais créée avec des amis en 1984, en gardant un statut de commissaire fixe mais libre – que Harald Szeemann avait d’ailleurs inventé. Ma mission était de faire des expositions d’art contemporain avec une collection d’art ancien. Lorsque l’on m’a demandé de venir à la Fondation Vincent van Gogh Arles, j’ai tout de suite dit oui, même si je n’avais pas particulièrement réfléchi à cet artiste au cours de mon parcours – ce monument maltraité de la culture de masse qui a en lui quelque chose d’indestructible.
Alors qu’en 1969 vous étiez étudiante à Zurich et que vous apparteniez au groupe de gauche Basisgruppe Kunstgeschichte, avez-vous vu l’exposition de Harald Szeemann « When Attitudes Become Form », à la Kunsthalle de Berne ?
Oui, bien sûr. Il y a eu très vite un débat dans ce groupe pour savoir si c’était acceptable : certains pensaient que c’étaient des jeux de bourgeois. Il existait des frictions très fortes. Pour moi, la culture pop et la musique étaient très importantes, de même que les engagements féministes. Mais sur cela aussi, il y avait des tensions. Nous lisions religieusement les textes qu’il fallait lire. C’était une école parallèle à l’université. L’histoire de l’art était poussiéreuse, au contraire des États-Unis, où, après la Seconde Guerre mondiale, tous les esprits progressifs faisaient partie de l’université. En Suisse, il fallait qu’un artiste soit mort pour que l’académie puisse s’intéresser à lui.
À 24 ans, alors que je n’avais pas fini mes études, on m’a laissé écrire sur l’art dans un important quotidien suisse, le Tages-Anzeiger. L’énergie de 1968 était très forte. J’avais un professeur spécialiste du maniérisme, et puis nous avions des débats sur Theodor W. Adorno*2. Cette période m’a formée et beaucoup apportée. J’ai eu la chance énorme d’avoir trois mondes : ce groupe militant, l’université et le journal.
En 1970, la Foire Art Basel a lancé sa première édition. Aviez-vous alors conscience de l’impact que cela aurait dans le paysage international de l’art ?
Pas du tout ! Nous n’avons jamais pensé que cette Foire aurait une telle force, de Hong Kong à Miami. À l’époque, nous distribuions des flyers très naïfs, dans lesquels deux ou trois d’entre nous voulions défendre les artistes et l’art contre le marché. Aujourd’hui, c’est avec résignation que nous disons que le marché est le marché.
C’est encore plus triste pour ce qui s’est passé pour la critique d’art. Écrire pour ce quotidien suisse était une chose démocratique : tout le monde le lisait. Nous étions cinq critiques d’art. Actuellement, il n’y en a aucun, ce ne sont plus que des pigistes, aucunes critiques sur des expositions de galerie, peu d’ailleurs sur des expositions qui ne sont pas des block-busters, et rares sont les articles portant sur les artistes suisses, notamment les plus jeunes, pourtant très reconnus dans d’autres pays.
Lorsque vous avez organisé vos premières grandes expositions – je pense entre autres à « Frauen Sehen Frauen*3 » (1975), à Zurich –, vous écriviez encore pour ce journal. Comment considérez-vous ces deux activités que vous avez longtemps menées de front ?
L’idée selon laquelle il faut être détaché des artistes est fausse. Ce n’est pas comme en politique. Plus on connaît le travail des artistes, plus on a la capacité de parler de ce qu’ils font et dans une langue accessible. Il m’a toujours semblé illusoire de vouloir donner des notes aux expositions, il s’agit d’expliquer ce que l’on pense de ce qu’un artiste nous présente. C’est un échange d’idées : l’art existe seulement si deux personnes parlent d’un objet qui est mis à la disposition, une œuvre d’art. Est-il justifié que cela porte le nom d’art ? Si l’on pense que non, cela ne vaut pas la peine de mettre trop de mots dessus. C’est toujours l’idée que nous avons eue pour Parkett. Nous traduisions des textes écrits dans de nombreuses langues, en anglais, mais aussi en grec, en finlandais, en coréen. Et nous n’avions vraiment pas envie de faire ce travail ni d’imprimer ces textes si les œuvres ne nous intéressaient pas.
En 1982, vous publiez un ouvrage monographique sur Meret Oppenheim, Spuren durchstandener Freiheit*4. Vous avez montré une œuvre d’elle à la fin de votre exposition sur Nicole Eisenman en 2022*5. Quel rôle son œuvre a-t-elle joué dans la formation de votre regard ? Vous occupe-t-elle toujours aujourd’hui ?
Quand on m’a proposé d’écrire sur Meret Oppenheim en 1980, j’avais vu sa rétrospective six ans plus tôt*6. Je l’avais rencontrée dans un vernissage, c’était une figure qui m’intéressait. Jean-Christophe Ammann [1939-2015], l’ancien assistant de Harald Szeemann [et alors directeur de la Kunsthalle de Bâle], avait soumis mon nom, car elle lui avait demandé d’écrire, mais il n’avait pas le temps. Je suis allée la voir, avec tous mes articles dans une enveloppe, et lui ai expliqué vouloir donner une approche de ma génération, liée à ce qui se passait à ce moment dans l’art contemporain, sans revenir sur la doxa du surréalisme, de Lautréamont et des parapluies d’André Breton ! Or, Meret Oppenheim avait 22 ans quand elle a créé Le Déjeuner en fourrure [1936]. Et c’est ce qui lui a plu. C’était très beau pour moi d’écrire sur une personne si impressionnante, qui s’est imposée dans les temps difficiles, après le déclenchement de la guerre et son retour en Suisse, où le climat artistique était rude. Surtout si, comme elle, on poursuivait une voix singulière et pourtant fragile, jamais ostentatoire. J’ai compris à partir de son attitude et son art qu’elle pouvait être un modèle pour un public beaucoup plus jeune.
Quand vous avez créé Parkett en 1984, comment avez-vous défini la revue ?
Nous voulions être un pont entre l’Europe et New York – pas encore vraiment Los Angeles. C’était la première revue en deux langues [anglais/allemand] traitées de la même manière, et pas seulement par des résumés traduits. Il était aussi important d’être proche de l’artiste et de la production artistique.
Comment vous positionniez-vous par rapport à Art Press ou Flash Art*7 ?
Nous ne voulions pas être une revue d’information, nous souhaitions être volontairement lents et considérer notre proximité avec le milieu artistique comme notre principale source d’inspiration. Nous nous apparentions plutôt à la revue surréaliste Minotaure [éditée de 1933 à 1939, à Paris] et à Interfunktionen [de 1968 à 1975 à Cologne], laquelle comprenait des dessins et des leporellos d’artistes comme Joseph Beuys. Nous ne désirions pas sortir un numéro chaque mois : au début, nous en faisions quatre par an, puis trois, puis deux. Nous voulions aussi intégrer différents styles d’écriture : des poèmes, des textes théoriques, des écrits d’artistes.
L’approche monographique de la revue, qui permet d’entrer en profondeur dans le travail d’un artiste, est-elle quelque chose que vous avez également privilégié dans vos expositions ?
Oui et non. Mes expositions ont souvent été thématiques, mais toujours avec un ensemble d’au moins trois œuvres par artiste. Le thème était choisi de manière à ce que la lecture de certaines œuvres et positions, par exemple de Georgia O’Keeffe, soit contextualisée différemment. Dans la narration de l’histoire de l’art canonique américaine, le récit commence invariablement par Jackson Pollock, l’expressionnisme abstrait et le fétiche de l’abstraction dans l’art. Dans les années 1990, avec mon exposition « Birth of the Cool*8 » [1997], il m’a semblé plus intéressant de débuter avec Georgia O’Keefe, qui était influencée par les panneaux dans la rue, et dont l’abs-traction était un mélange entre abstraction et figuration.

Vue de l’exposition « Sigmar Polke. Sous les pavés, la terre », Fondation Vincent van Gogh Arles, 2025. Courtesy de The Estate of Sigmar Polke, Cologne. Photo François Deladerrière
Le titre Parkett (« parquet » en allemand) vient-il du théâtre ?
Oui, nous cherchions un mot facile à prononcer dans toutes les langues, comme Kodak. C’est aussi le plancher en bois, que l’on trouve dans les bonnes galeries, puis le parterre du théâtre, c’est en outre un terme juridique, de l’instruction. Mais en allemand, il y a également l’expression « das öffentliche Parkett », un autre mot pour « forum ».
Parkett a été publié entre 1984 et 2017. Comment fait-on durer une revue ?
Nous avons eu plusieurs périodes difficiles… Nous n’avons jamais gagné d’argent, mais, dans les meilleures années, nous avons publié 11 000 exemplaires, ce qui est beaucoup pour une revue en format livre, avec une distribution dans 60 pays. C’était le moment juste. La scène américaine s’intéressait de nouveau à la production européenne, contrairement aux années d’après-guerre. Nous considérions qu’il ne suffisait pas de vendre de grands tableaux aux États-Unis, mais qu’il fallait aussi rendre accessibles les idées qui se trouvaient derrière. Nous avons consacré des monographies à des artistes que l’on connaissait bien de ce côté de l’Atlantique, mais pas de l’autre. Le Déjeuner en fourrure constituait une œuvre importante pour expliquer aux Américains ce qu’était le surréalisme – ils ne savaient même pas que Meret Oppenheim était une femme ! Et, à l’inverse, nous avons fait un numéro sur le peintre américain Brice Marden, inconnu en Europe. Nous avons aussi demandé à de grands critiques d’écrire pour nous. Avec la numérisation du monde, c’est devenu plus difficile, car les habitudes de lecture ont changé.
Quand vous avez entrepris d’éditer des multiples avec Parkett, aviez-vous des modèles ?
Dans les années 1950 et au début des années 1960, il y a eu un mouvement qui consistait à faire des éditions accessibles, mais cela a s’est transformé en projets commerciaux, comme les milliers de multiples de Salvador Dalí. Dans les années 1970, c’était déjà devenu un peu ordinaire. Peter Blum, l’un des quatre fondateurs de la revue, a eu l’idée d’inclure une œuvre à la revue. Sa maison, Peter Blum Edition, travaillait avec les artistes de la Transavanguardia ou avec John Baldessari. Il savait à qui s’adresser pour réaliser des objets soignés. Car, autour de 1980, une nouvelle génération d’artistes a eu envie de créer des gravures avec des techniques traditionnelles et une approche conceptuelle. Par contre, déjà pour le no 4 de Parkett, Meret Oppenheim nous a fait produire des gants, c’était le premier objet. Cela comportait une part de risque, certains objets ont coûté beaucoup à produire et se sont très mal vendus. De nos jours, Texte zur Kunst ou d’autres revues font aussi des objets, mais cela reste souvent un genre. Nous étions plus ambitieux pour sortir du cadre.
Comment avez-vous conçu l’établissement des archives de Parkett à la Fondation LUMA, à Arles ?
Maja Hoffmann [fondatrice de la Fondation LUMA] est une amie depuis les années 1980. Elle nous a aidés plusieurs fois. Aujourd’hui, elle héberge les archives de Parkett. Nous avions fait une première exposition à l’ouverture du Parc des Ateliers*9. Notre archive commence évidemment bien avant le numérique, il n’y avait ni Internet ni fax. Le téléphone était si cher que nous nous écrivions des lettres sur du papier fin « By Airmail ». Tout est consigné dans des classeurs. Nous discutions par écrit du prochain numéro : Jeff Koons est-il plus important que Haim Steinbach ? Il y a également des dessins d’artistes à la main, des notes sur des cahiers à lignes. Puis, le fax est apparu, avec encore beaucoup de dessins et de mots. Il y a aussi les maquettes des graphistes collées à la cire. Aujourd’hui, une campagne de numérisation est en cours par l’intermédiaire de Google.
Vous avez également dirigé Tate Etc. [magazine d’art lancé en 2004]. Pensez-vous que ces revues adossées à des institutions ou des galeries commerciales, qui disposent de moyens conséquents et publient souvent des textes longs, soient le futur des revues sur l’art ? Ou bien existe-t-il encore un espace pour les revues indépendantes ?
C’est très triste de constater que le débat sur l’art est passé dans un camp élitiste. Nous défendions l’accessibilité pour tous, et pas seulement pour des collectionneurs blue chip [de premier plan]. Et c’est la même chose pour les livres. Il n’y a presque plus d’éditeurs qui publient sur l’histoire de l’art : il faut toujours que ce soit financé par des galeries ou l’artiste. Des structures comme l’AICA [Association internationale des critiques d’art] devraient se battre pour que l’État, par un soutien financier, permette aux grands journaux de faire paraître en accès libre tous les articles sur la culture. Cela aiderait beaucoup à ouvrir le débat.
Au Kunsthaus Zürich, vous avez travaillé avec Harald Szeemann. Vous avez évoqué ce statut indépendant qu’il a imaginé. Conservez-vous un héritage intellectuel de ces années à ses côtés ?
Il a eu un regard extended [élargi] sur l’art : un regard anthropologique avec ses expositions thématiques. Après 1972, il s’est retiré de l’art contemporain dans sa maison du Tessin pendant dix ans pour faire son exposition sur les machines célibataires, celle sur Monte Verità, celle sur la figure de la mère. Mais il y avait également Jean-Christophe Ammann, qui l’avait assisté pour la Documenta 5 [à Cassel] en 1972 et qui est devenu directeur du Kunstmuseum de Lucerne [Suisse] où il a invité beaucoup d’artistes majeurs comme Gilbert & George. Il a fait une exposition intitulée « Transformer. Aspects of Travesty » en 1974, la première qui théorisait le genre. Ensuite, il a pris la tête de la Kunsthalle de Bâle [de 1978 à 1988]. Dans les années 1970 et 1980, Jean-Christophe Ammann était pour nous aussi important, voire plus important, que Harald Szeemann.
Pourriez-vous citer les quelques artistes dont les rencontres ont été pour vous les plus fondatrices ?
Il y en a tellement ! Le premier à citer, c’est Sigmar Polke, que j’ai connu en 1974; je lui ai dédié mon premier long article dans une revue d’art. Il a collaboré pour le no 2 de Parkett. Mais beaucoup de ces artistes avec qui j’ai travaillé font partie pour nous d’une grande famille. Il y a des amies comme Pipilotti Rist, Katharina Fritsch, Fischli & Weiss ou Christopher Wool, lequel a trouvé le titre de mon exposition « Birth of the Cool » d’après un CD de Miles Davis. Même si nous ne nous voyions pas beaucoup avec certains, nous restions proches.
En 2013, vous êtes commissaire de la Biennale de Venise, que vous avez
intitulée « ILLUMInations ». Comment l’avez-vous conçue ?
J’ai eu à peine une année pour cela. On m’a demandé de venir à Rome pour discuter avec le président de la Biennale. Il m’a fallu écrire un projet en deux jours. J’avais déjà le titre, « ILLUMInazioni ». Il n’a pas changé, et je suis restée fidèle à beaucoup d’idées que j’avais formulées alors. Il a fallu lancer très tôt les demandes et négociations pour les prêts des trois tableaux du Tintoret. Ensuite, j’ai fait de très longues listes d’artistes. Les logiciels de visioconférences, tels que Zoom, n’existaient pas. Je ne pouvais pas aller sur tous les continents, donc il me fallait faire des entretiens avec des spécialistes sur l’art en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud, où je me suis rendue. Heureusement, grâce à Parkett, j’avais déjà une base importante pour pouvoir réaliser cela en si peu de temps.

Vue de l’exposition « Sigmar Polke. Sous les pavés, la terre », Fondation Vincent van Gogh Arles, 2025. Courtesy de The Estate of Sigmar Polke, Cologne. Photo François Deladerrière
J’aimerais que vous répondiez aux cinq questions que vous avez posées à tous les artistes ! « Où vous sentez-vous à la maison ? »
Je me sens facilement à la maison si j’ai mes livres, si je me sens bien entre amis, si je ne me sens pas seule. Et puis la solitude peut être bien aussi !
« Est-ce que le futur parle anglais ? ou une autre langue ? »
C’est une chose qui est en mutation, cela débouchera sur une créolisation partielle dans laquelle l’anglais se mélangera avec les patois, les dialectes et les accents des langues différentes.
« La communauté artistique est-elle une nation ? »
Oui. Si l’on retire à la nation ses mauvais aspects, on voit une communauté inspirante et vitale d’échange d’idées et de formes. Pour le catalogue de la Biennale*10, j’avais invité le philosophe Jean-Luc Nancy qui a beaucoup réfléchi à l’idée de communauté.
« Combien de nations y a-t-il à l’intérieur de vous-même ? »
Beaucoup. Ma mère vient de Suisse italienne et mon père, de Suisse alémanique. Nous appartenons à beaucoup de cultures à la fois. Notre monde aujourd’hui permet de s’ouvrir davantage, bien plus qu’auparavant.
« Si l’art était une nation, que serait-il écrit dans sa Constitution ? »
Il faudrait défendre la liberté d’aller plus loin… et il faudrait plus de temps pour y réfléchir !
Quels sont vos projets ?
Je reste liée à la Fondation Vincent van Gogh Arles émotionnellement et amicalement, avec sa présidente Maja Hoffmann et mon successeur Jean de Loisy. J’écris encore beaucoup, et cela me fait plaisir. J’ai tellement voyagé ! Je veux me promener (j’ai un chien), lire et passer du temps dans ma maison au Tessin.
Depuis une quinzaine d’années, le paysage de l’art a beaucoup évolué, notamment quant à la place des femmes, de l’Afrique et du monde extraoccidental. Aviez-vous aussi le sentiment en 1995 que le monde avait radicalement changé au cours des quinze années précédentes ? Ou bien vivons-nous, selon vous, une époque d’accélération d’une réécriture de l’histoire de l’art ?
Si je pense aux 33 ans de Parkett, nous avions parfois l’impression qu’il ne se passait rien. Et puis, d’un coup, nous nous rendions compte qu’il s’était passé des choses. Franz Meyer, un commissaire plus âgé que moi, m’avait raconté comment il avait découvert CyTwombly, lequel avait quitté New York pour l’Italie, et ne s’inscrivait pas dans l’idéologie greenbergienne*11. Il y a toujours des artistes mainstream et des figures souterraines. Et l’on s’aperçoit souvent que ces dernières ont une qualité et une force que l’on n’avait pas vues auparavant.
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« Sigmar Polke. Sous les pavés, la terre », 1er mars-26 octobre 2025, Fondation Vincent van Gogh Arles, 35 ter, rue du Docteur-Fanton, 13200 Arles.
*1 Magazine international d’art qui a fait paraître son 100e et dernier numéro en 2017. La publication continue désormais en ligne.
*2 Philosophe et sociologue allemand (1903-1969).
*3 L’exposition «Frauen sehen Frauen» a été organisée en janvier-février 1975, au Strauhof, à Zurich, par un collectif de trente-cinq femmes.
*4 L’ouvrage a été traduit en anglais en 1989, sous le titre Defiance in the Face of Freedom (Défiance face à la liberté).
*5 « Nicole Eisenman et les modernes. Têtes, baisers, batailles », 21 mai-23 octobre 2022, Fondation Vincent van Gogh Arles.
*6 Rétrospective itinérante présentée en 1974-1975, en Suisse, à Soleure et Winterthour, et en Allemagne, à Duisbourg.
*7 Art Press et Flash Art sont des revues d’art qui ont été fondées respectivement en 1972 et en 1967.
*8 « Birth of the Cool. American Painting from Georgia O’Keeffe to Christopher Wool », 14 février-11 mai 1997, Deichtorhallen, Hambourg et 18 juin-7 septembre 1997, Kunsthaus Zürich.
*9 Ancien site industriel qui abrite depuis 2013 les activités de LUMA Arles.
*10 Bice Curiger (dir.), ILLUMINATIONS. 54th International Art Exhibition La Biennale di Venezia, Venise, Marsilio, 2011.
*11 Développée par Clement Greenberg (1909-1994), critique d’art et polémiste américain.