Des traces de pollution atmosphérique au XVIIe siècle ont permis de dater un rare tableau de Vermeer. L’analyse de Dame jouant du virginal a ainsi révélé la présence de particules de feldspath entre les couches de peinture. Ces dépôts proviennent probablement de la production de céramiques de Delft dans la ville natale de l’artiste.
Dame jouant du virginal est actuellement présenté dans le cadre d’une exposition de la collection de l’entrepreneur américain Thomas Kaplan, « De Rembrandt à Vermeer : chefs-d’œuvre de la collection de Leyde », au musée H’ART à Amsterdam (jusqu’au 24 août 2025)
Dame jouant du virginal est le seul des 37 Vermeer authentiques à être resté en mains privées. Depuis les années 1940, son attribution a été largement mise en doute, mais le tableau a fait l’objet d’un examen approfondi juste avant sa mise en vente aux enchères chez Sotheby’s en 2004 et, depuis lors, il est quasi unanimement accepté comme tel par les spécialistes du XVIIe siècle hollandais.
Thomas Kaplan a révélé à The Art Newspaper qu’il avait porté la première enchère lors de la vente de 2004, mais que le prix ayant grimpé en flèche, le tableau avait été adjugé à Steve Wynn, le patron du casino de Las Vegas, pour la somme de 16 millions de livres sterling (soit l’équivalent de 18,6 millions d’euros actuels). Le jour de la vente, Thomas Kaplan avait confié à un ami marchand qu’« un jour, [il] posséderait ce tableau ». Lorsque Steve Wynn a dû vendre le Vermeer quatre ans plus tard, Kaplan et sa femme Daphne Recanati ont pu l’acquérir, ainsi que l’Autoportrait aux yeux hagards (1634) de Rembrandt.
L’année dernière, ils ont fait examiner et nettoyer le Vermeer par le restaurateur David Bull (décédé le 28 décembre 2024). Thomas Kaplan avait demandé un traitement délicat : « Je veux voir le travail de l’artiste, pas celui du restaurateur », avait-il demandé.
La présence de particules de feldspath a permis d’expliquer l’ordre dans lequel Vermeer a réalisé le tableau. Il a terminé la composition de base vers 1670-1672, la laissant probablement entreposée dans son atelier du centre de Delft. C’est alors que des particules de feldspath présentes dans l’air se sont déposées sur la surface du tableau.
Arthur Wheelock, ancien conservateur à la National Gallery of Art de Washington et aujourd’hui conseiller principal de la collection Kaplan, pense que c’est en 1675 que Vermeer a ajouté le châle jaune sur ce qui était un corsage. D’un point de vue stylistique, le modelage du châle semble avoir été réalisé d’une manière similaire à celui de Dame jouant du virginal conservé à la National Gallery de Londres, qu’Arthur Wheelock date des dernières années de Vermeer. Il suggère que cette modification a été effectuée en raison d’un changement dans la mode féminine : « Le châle peut refléter un style vestimentaire différent, devenu à la mode après l’invasion française des Pays-Bas [en 1672], mais il confère également à la jeune femme une allure classique et intemporelle ».
Il reste à déterminer si l’ajout du châle relève d’une décision artistique personnelle de Vermeer ou d’une requête formulée par un acquéreur. L’identité du propriétaire d’origine reste inconnue, bien qu’il puisse s’agir de ses concitoyens de Delft Pieter van Ruijven et son épouse Maria de Knuijt, qui étaient les principaux mécènes de l’artiste.
Jusqu’à récemment, on considérait que le tableau de Thomas Kaplan avait été achevé entre 1670 et 1672, dates indiquées dans la rétrospective du Rijksmuseum d’Amsterdam en 2023. Cette datation a été révisée, Arthur Wheelock la situant entre 1670 et 1675. Vermeer est mort le 15 décembre 1675 et Dame jouant du virginal est très probablement son dernier tableau.
Après l’intervention de restauration de David Bull, des changements subtils ont été apportés au tableau. Comme le dit Thomas Kaplan, « les nuances, les ombres, la composition des tons sont ressorties, j’étais stupéfait, nous avons simplement enlevé ce qui n’était pas Vermeer ». Le modelé des plis de la robe de satin blanc est maintenant plus apparent. La suppression des repeints ultérieurs sur les lèvres et les sourcils de la femme lui donne une expression plus amicale.

Johannes Vermeer, Dame jouant du virginal (1670-1675), avec son ancien cadre français orné et doré et le nouveau, hollandais en ébène noir de la fin du XVIIe siècle. Courtesy de la collection de Leyde
Dame jouant du virginal a également été recadré pour l’exposition actuelle à Amsterdam, qui sera ensuite présentée au Norton Museum of Art à West Palm Beach, en Floride (25 octobre-29 mars 2026).
Depuis la vente aux enchères de Sotheby’s, le Vermeer se trouvait dans un cadre français orné, sculpté et doré. Il est désormais présenté dans un cadre hollandais en ébène noir de la fin du XVIIe siècle. L’apparence du tableau s’en trouve améliorée, ce nouveau cadre plus simple et discret mettant davantage l’accent sur la composition de Vermeer.
Un mystère demeure : qui est la femme représentée sur ce tableau ? S’agit-il d’un membre de la famille, d’une amie ou d’un modèle ? Il semble qu’il s’agisse d’une personne que Vermeer connaissait bien et qui était détendue en sa compagnie. Dans le tableau, elle joue avec assurance, sans avoir besoin de regarder le virginal. Elle tourne son visage vers le spectateur, jouant pour lui.