À l’heure de mener l’impérative transition énergétique, et alors qu’aux États-Unis, un président plus que favorable aux énergies fossiles, Donald Trump, signe la sortie de l’accord de Paris et nomme un, de surcroit magnat de la fracturation hydraulique, Chris Wright, comme secrétaire à l’Énergie, qu’en est-il des énergies renouvelables ?
Une toute jeune manifestation, la Solar Biennale, créée en 2022 par deux designers néerlandaises, Marjan van Aubel et Pauline van Dongen, se charge de l’état des lieux des recherches. Si la première édition s’est « naturellement » tenue aux Pays-Bas, la deuxième, intitulée « Soleil·s », est proposée à Lausanne, en Suisse, du 21 mars au 21 septembre 2025 – de l’équinoxe de printemps à l’équinoxe d’automne. Le 20 mars, une table ronde a accueilli un panel d’experts, en préambule à une vaste exposition déployée au Mudac, le musée cantonal de Design et d’Arts appliqués contemporains, ainsi que dans deux espaces sur le campus de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).
Le soleil au centre
En premier lieu, rappelons une évidence : l’exposition quotidienne à la lumière naturelle est un besoin physiologique. Intervenante à la table ronde, mais également coautrice de deux installations dans la manifestation principale, dont Droit au jour (2025) avec l’agence de design parisienne Vraiment Vraiment, Marilyne Andersen, directrice du LIPID (Laboratory of Integrated Performance in Design) à l’EPFL, milite pour un « droit à la lumière naturelle » et fustige le passage imposé à l’heure d’été. Elle confirme que « les différentes nuances lumineuses ont une réelle influence sur nos rythmes circadiens, car le pho- torécepteur dans notre œil qui les régule, appelé “mélanopsine”, est plus sensible à la lumière bleue ». « Si, le matin, sa stimulation est très bénéfique pour adapter son horloge biologique, en revanche, il ne devrait pas être stimulé le soir sous peine de retarder l’heure du coucher », prévient-elle. Pire, prolonger sa journée à la lumière artificielle serait même préjudiciable, provoquant chez certains un décalage du rythme biologique, le social jetlag. Outre qu’il est le facteur clé d’une vie saine, le rayonnement solaire a aussi l’avantage de pouvoir être en partie transformé en électricité. Responsable du laboratoire d’électronique photovoltaïque et de couches minces (PV-Lab) de l’Institut de microtechnique (intégré à l’EPFL), à Neuchâtel, le physicien Christophe Ballif parle sans ambiguïté : « Notre consommation doit massivement basculer vers l’électricité. Chaque année dans le monde, la demande en cette énergie croît de 2 %. Nous devrons absolument, dans les années à venir, produire trois fois plus d’électricité qu’aujourd’hui. » « Le nucléaire, que l’on aime ou pas, ne pourra fournir qu’entre 5 et 7 % de la demande. Il faudra donc coûte que coûte augmenter le solaire et l’éolien, et ce dans des proportions considérables », alerte-t-il.
À l’orée du xxie siècle, nombre de prototypes d’objets utilisant l’énergie solaire ont vu le jour, et le mouvement s’est accéléré dans les années 2020. Ce sont, par exemple, le four solaire Powerpoint (2020) de Floris Schoonderbeek, une coupole inversée en inox miroir, ou le luminaire Sunne (2021) de Marjan van Aubel, qui se recharge en journée. L’horloger helvète Tissot a glissé sous le cadran de la T-Touch Connect Solar (2022) des cellules photovoltaïques innovantes développées par le Centre suisse d’électronique et de microtechnique, à Neuchâtel, lui permettant une autonomie presque infinie (près de six mois en mode déconnecté). La firme Adidas a intégré dans l’arceau du casque audio RPT-02 SOL (2022) des cellules solaires à pigment photosensible (DSSC) qui alimentent le casque perpétuellement. La designer Teresa van Dongen a conçu, quant à elle, un abat-jour translucide, tel un origami, contenant des cellules solaires habillées d’une couche conductrice de dioxyde de titane (Sun Catcher, 2024), lequel se recharge de jour, simplement en le dépliant et en l’appliquant sur la vitre d’une fenêtre.
D’autres œuvrent sur le rayonnement solaire non comme producteur d’électricité, mais comme générateur de... reflets, à l’instar de Nathanaël Abeille. Judicieusement placés, les réflecteurs solaires élaborés par celui-ci peuvent amener de la lumière naturelle dans des zones sombres : que ce soit à l’échelle domestique, grâce à une série d’objets en verre soufflé ou en céramique à disposer sur une console ou en applique sur un mur et à manipuler pour diriger la réflexion où nécessaire ; ou que ce soit à l’échelle urbaine, comme le démontre une commande publique en 2022 pour la façade d’un hôtel de la place du Lycée-Thiers, à Marseille, où des lignes verticales de verre opalin coloré génèrent des reflets à la fois sur les immeubles adjacents orientés au nord et sur la place elle-même. Le designer français travaille actuellement sur deux projets similaires. L’un, à L’Arbresle, village du Beaujolais, positionne des disques de verre tels des épis faîtiers sur le versant sud des toitures d’une dizaine de maisons pour qu’ils renvoient la lumière sur une barre de logements située dans le creux de la vallée. L’autre, au 8e étage d’un immeuble du 13e arrondissement de Paris, fixe six disques en tôle inox polie miroir sur des rotules, afin d’éclairer l’École nationale d’architecture Paris-Val de Seine, sise à 80 mètres en contrebas.

Alice Bucknell, Staring at the Sun (capture), 2024-2025, documentaire de science-fiction. © Alice Bucknell
Des panneaux solaires aux datacentrers
Jadis décrié, le panneau solaire évolue fortement, d’un point de vue tant technique, par ses composants, qu’esthétique, par ses couleurs, ses surfaces, etc. Il devient souple, voire « liquide », sous la forme de pigments photosensibles. Avec SUNTEX (2022), la designer Pauline van Dongen propose ainsi un textile tissé de panneaux solaires organiques flexibles, à partir duquel pourraient être réalisées des structures urbaines d’ombrage ou qui pourrait être positionné sur des bâtiments existants, de manière à capter l’énergie solaire tout en offrant une protection passive.
La ville est un sujet particulièrement porteur. Avec CryoflorE : on cyber gardening the city (2025), Claudia Pasquero et Marco Poletto, alias ecoLogicStudio, y intègrent le vivant afin qu’il produise de l’énergie verte. Leur cité du futur est bardée de systèmes biocatalytiques, à savoir les algues et autres cyanobactéries « alimentées » par le soleil. « Ces organismes photosynthétiques sont à la fois capables de capturer le CO2 et de filtrer les polluants de l’air, mais également de produire de l’énergie », explique Marco Poletto. Capter l’énergie solaire directement dans l’espace et la renvoyer sur Terre est la stratégie envisagée par le chercheur Arthur Woods, à travers sa société Astrostrom, avec l’architecte et designer Andreas Vogler. Contrairement à la plupart des solutions de space-based solar power (énergie solaire spatiale) reposant sur des systèmes lancés depuis la Terre et mis en orbite, leur projet Greater Earth Energy Synergies (2022-2024) est d’installer des panneaux solaires sur la Lune afin d’atténuer les effets du lancement des fusées, mais aussi les impacts environnementaux.
Avec son projet Solar Protocol (2021-2025), l’ingénieur activiste Alex Nathanson, auteur du livre A History of Solar Power Art and Design (Routledge, 2021), a démontré, pendant la table ronde, qu’une plateforme numérique1 pouvait être hébergée par un réseau de serveurs indépendants alimentés à l’énergie solaire et répartis dans le monde entier. Qui plus est, ledit réseau peut s’adapter aux fluctuations de cette énergie renouvelable : lorsqu’un utilisateur accède au site, sa requête est redirigée vers le secteur bénéficiant du stock d’énergie le plus important, c’est-à-dire du cumul d’ensoleillement récent le plus favorable. Preuve en est que des alternatives aux datacenters (centres de données) énergivores existent. Tout est question de volonté politique !
2e Solar Biennale : « Soleil·s », 21 mars-21 septembre 2025, Mudac, place de la Gare, 17, 1003 Lausanne, mudac.ch ;
« Sun Shines on Architecture », 21 mars-21 juin 2025, Archizoom, SG Building (SG 1212) – Station 15, place Ada Lovelace, EPFL campus, 1015 Lausanne, epfl.ch ;
« From Solar to Nocturnal », 20 mars-27 avril et « Halos », 6 juin-6 juillet 2025, EPFL Pavilions, Pavilion A, place Cosandey, 1015 Lausanne, Suisse, epfl-pavilions.ch