Pourriez-vous revenir sur l’origine du Zentrum Paul Klee (ZPK) ?
Après la disparition de Paul Klee en 1940 [il est né en 1879], sa veuve Lily a réglé la gestion de l’héritage artistique par une commission bénévole, afin d’anticiper la confiscation de toutes les œuvres par les Alliés. Cela conduisit, en 1947, après la mort de celle-ci l’année précédente, à la création de la Fondation Paul-Klee par d’importants collectionneurs bernois de l’artiste, lesquels ont déposé les pièces au Kunstmuseum de cette ville. L’institution a commencé à travailler sur la production de Paul Klee puis sur son catalogue raisonné. Lorsqu’il est apparu que son œuvre était d’une magnitude qui allait au-delà de l’art suisse, mais aussi de l’art moderne en général, il fut vite évident qu’une salle unique consacrée à l’artiste au sein du musée ne suffirait pas, a fortiori pour des visiteurs venant du monde entier.
À quel moment s’est concrétisée l’idée d’un lieu spécifique ?
Tout s’est accéléré en 1990, quand Felix Klee, le fils de Paul, est mort subitement. Alexander Klee, le fils de Felix, a alors annoncé que les héritiers étaient prêts à mettre à la disposition de la Ville et du Canton de Berne une grande partie de la collection de la Fondation si un musée était créé. En 1997, la seconde épouse de Felix, Livia Klee-Meyer, fit une donation de 700 œuvres. L’année suivante, Alexander Klee proposa un dépôt de 850 œuvres de son grand-père et d’autres artistes. De surcroît, en 1998 également, deux mécènes et collectionneurs, Maurice Müller, chirurgien orthopédique de renommée mondiale, et sa femme Martha, qui venaient assister à un concert au Kunstmuseum de Berne, apprirent l’existence du projet et proposèrent un don de 30 millions de francs suisses afin de permettre la création de ce musée. Leur seule condition : qu’il soit construit avant 2006.
Pourquoi avoir retenu cet emplacement sur les hauteurs de Berne, à l’est de la ville ?
À l’époque, il fut d’abord envisagé de l’ériger à côté du Kunstmuseum. Puis, la Ville et le Canton ont proposé une parcelle dans le quartier de Schosshalde, où se trouve le cimetière dans lequel est enterré Paul Klee. Finalement, Maurice et Martha Müller ont mis à disposition un terrain non loin de cette nécro- pole, dans le quartier de Schöngrün.
Comment fut choisi l’architecte ?
C’est une décision des mécènes eux-mêmes. Le professeur Maurice Müller, rappelons-le, était chirurgien. L’un de ses patients était le pianiste Maurizio Pollini, un ami de [l’architecte italien] Renzo Piano. Lorsqu’il a fallu choisir un maître d’œuvre, il était tout trouvé. Le souhait de Renzo Piano était de réali- ser un projet différent de celui de la Fondation Beyeler, à Bâle, ouverte quelques années auparavant, d’autant que le terrain était semi-rural. Il avait, semble-t-il, déjà cette forme en trois « vagues » à l’esprit, car elle apparaît dans des esquisses antérieures, mais il ne l’avait jamais matérialisée. Elle a trouvé, ici, sa juste expression.
L’idée des mécènes était de créer davantage qu’un musée...
Le professeur Maurice Müller voulait un lieu qui célèbre dans toute son envergure Paul Klee et son génie, un centre qui ne soit pas uniquement un musée, en effet, mais un endroit où l’éducation à l’art et à la création serait importante, pour les enfants, certes, et également pour les adultes. L’idée était d’y retrouver l’atmosphère créative propre à Paul Klee. Ainsi ont émergé les différents axes que développe le ZPK en parallèle de l’activité muséale.

Nina Zimmer. © Kunstmuseum Bern – Zentrum Paul Klee. Photo Christine Strub
Pouvez-vous nous détailler ces différents axes ?
D’abord, il y a la médiation artistique, avec le musée des enfants Creaviva. Ensuite, la musique, qui fait vraiment partie de notre ADN – rappelons que Paul Klee était un violoniste talentueux. Passionnée de musique, Martha Müller a souhaité y intégrer un auditorium. Celui-ci permet en outre d’accueillir des écrivains pour des lectures, des congrès et autres événements, qui participent au financement du ZPK. L’agriculture est également un axe important – on sait que la nature était une notion fondamentale dans la pensée de Paul Klee. La prairie autour du ZPK a toujours été cultivée, et cette production agricole est essentielle pour l’image du centre. Dernier point, les projets collaboratifs, comme le jardin communal. Nous voulons que le centre exprime l’idée de communauté, qu’il soit un espace public ouvert, inspirant et enrichissant pour le plus grand nombre, et que son offre soit diversifiée.
Comment Renzo Piano a-t-il traduit esthétiquement cet ambitieux programme ?
Il a exprimé l’essence même du centre à travers trois « vagues » : la première pour l’administration et la recherche, la deuxième pour les salles d’exposition et la troisième pour les activités (événements, concerts, etc.). On ne peut comprendre l’institution sans cette notion importante d’un lieu dans lequel divers domaines se rencontrent. C’est une idée typique des années 1990, à l’ins- tar de celle qui a prévalu à la création du Centre Pompidou, à Paris, lequel mélangeait également les domaines pour exprimer une créativité au sens large et pas seulement les beaux-arts. Je pense qu’un lieu comme le nôtre est unique en Suisse, aujourd’hui encore.
De quoi se compose à présent la collection Paul Klee ?
La collection réunit des pièces de différentes époques : celles du début de son parcours (des dessins de son enfance), sa production tardive ainsi que des œuvres représentatives de chaque période. Nous hébergeons plus de 4 000 pièces, soit environ 40 % de son œuvre complète, dont beaucoup de dessins, car Paul Klee préférait le papier. Collages, dessins et aquarelles représentent ainsi quelque 80 % de la collection, les 20 % restant sont de la peinture.
Quel est le budget du ZKP ?
Le budget du ZPK représente 10 millions de francs suisses [10,5 millions d’euros] : 5,5 millions proviennent du Canton de Berne et 4,5 millions des activités du centre (billetterie, restaurant, librairie, location de l’auditorium, mécénat, etc.).
Comment s’équilibre la programmation entre l’espace d’expositions temporaires et celui consacré à Paul Klee ?
L’objectif, dans la grande salle du rez-de-chaussée, est de montrer d’autres artistes de la modernité : comme [le sculpteur et designer américain d’origine japonaise] Isamu Noguchi ; des artistes parfois marginalisées, telles [la peintre expressionniste allemande] Gabriele Münter et [la collagiste dada alle- mande] Hannah Höch ; ou des contemporains de Paul Klee à l’époque du Bauhaus, comme [l’architecte, peintre et designer suisse] Max Bill. Le niveau -1, quant à lui, est entièrement consacré à Paul Klee.
En 2023, après une soixantaine d’expositions thématiques, vous opérez un changement radical avec une exposition permanente intitulée «Kosmos Klee». Pour quelles raisons ?
En vingt ans, le ZPK a expérimenté divers formats d’exposition : la présentation permanente, des thématiques sur les amis du peintre – « Klee et Kandinsky » [2015], « Klee rencontre Picasso » [2010] – ou encore celles spécialisées – « Klee durant la guerre » [2017- 2018]. Comment toucher à la fois les Bernois, qui ont vu une grande partie des pièces, et les touristes, qui veulent voir les plus célèbres ? C’est pourquoi nous avons opté pour cette proposition : d’un côté, une exposition permanente – laquelle, en réalité, change beaucoup en raison de la fragilité des œuvres sur papier –, montrant des pièces phares ; de l’autre, une petite salle spécialisée appelée Fokus. On peut y voir actuellement « Klee musical », qui met en lumière la musique, l’une de ses principales sources d’inspiration. L’ensemble du dispositif permet de répondre aux diverses attentes des publics : celui qui vient du Japon ou du Chili pour voir les chefs-d’œuvre et celui qui apprécie une thématique pointue.
Le Centre Pompidou doit fermer ses portes fin septembre 2025 pour une rénovation complète. Qu’en est-il du ZPK ?
La structure du bâtiment est très saine, la construction durable. Nous n’avons donc pas de rénovation lourde à prévoir. Le renouvellement des câbles électriques et du système de climatisation est en cours. Il y a un gros travail à faire sur le système d’éclairage pour passer des ampoules aux LED. Nous allons améliorer les choses au fur et à mesure, sans fermer le musée.
Le ZPK fête ses 20 ans. Quel est le programme de cet anniversaire ?
Actuellement, nous exposons une vaste présentation initulée « Le Corbusier. L’ordre des choses ». Ce dernier est un créateur franco-suisse qui, à partir d’une pensée artistique, a révolutionné l’architecture. Pendant l’été, nous montrerons l’œuvre décalée et fascinante de la Britannique Rose Wylie, une peinture très fraîche et très contemporaine, alors que l’artiste a plus de 96 ans. Comme Paul Klee, elle a une affinité pour le dessin et une façon d’intégrer le quotidien à son travail. Regarder ses œuvres donne immédiatement envie de dessiner. Cet esprit contagieux de la création était cher à Paul Klee. À l’automne, l’artiste textile Anni Albers, une grande dame de l’art moderne qui fut l’élève de Paul Klee au Bauhaus, aura les honneurs.
Des festivités sont-elles prévues ?
Le grand week-end anniversaire sera celui des 21 et 22 juin 2025. L’entrée sera libre, et les visiteurs pourront assister à des concerts ou des projections de films, et même déguster la production de notre champ, celui qui recouvre notamment les réserves ou l’auditorium. La récolte d’orge de 2024 a permis de brasser la bière qui sera servie ce week-end-là.
« Le Corbusier. L’ordre des choses », 8 février-22 juin 2025;
« Klee musical », 20 février-1er juin 2025;
« Rose Wylie. Flick and Float », 19 juillet-5 octobre 2025;
« Anni Albers. Constructing Textiles », 7 novembre 2025- 22 février 2026, Zentrum Paul Klee, Monument im Fruchtland 3, 3006 Berne, Suisse, zpk.org