Le binôme choisi pour représenter le Maroc à la 19e édition de la Biennale d’architecture de Venise, qui ouvrira le 10 mai 2025, appartient à une génération préoccupée par les conséquences du dérèglement climatique et avide d’innovation. Lauréat de l’École nationale d’architecture de Rabat, Khalil Morad El Ghilali est actuellement doctorant à l’université de Thessalie, à Volos (Grèce), où il exerce en tant qu’enseignant invité au sein du laboratoire escapelab. Il a fondé en 2019 son agence Ateliers BE (bâti écoresponsable) lui permettant de sonder les ressources locales, en gardant un œil rivé sur les possibilités offertes par les nouvelles technologies. El Mehdi Belyasmine est diplômé de deux masters d’architecture, l’un délivré par la faculté La Cambre Horta, à Bruxelles, l’autre – doublé d’une spécialisation en fabrication numérique – par l’ETH (Eidgenössische Technische Hochschule), l’École polytechnique fédérale de Zurich. Il a créé en 2020 le studio d’architecture et de design Belyas & Co, qui a réalisé plusieurs projets innovants au Maroc.
« Khalil est un fin connaisseur de l’art de bâtir au Maroc et de ses techniques, tandis que mon approche se base sur une vision communément holistique, à travers laquelle je mets en avant l’expérience des usagers au centre de chaque projet », reconnaît El Mehdi Belyasmine, en soulignant leur complémentarité.

Khalil Morad El Ghilali et El Mehdi Belyasmine, Materiae Palimpses, modélisation 3D. © Khalil Morad El Ghilali et El Mehdi Belyasmine
Un mémorial holistique
Le thème de la Biennale, intitulé « Intelligens. Natural. Artificial. Collective », les incite à s’intéresser à l’architecture vernaculaire en terre, qui fut particulièrement endommagée lors du séisme d’Al Haouz survenu en septembre 2023. Mais au-delà des défis lancés par la reconstruction, les deux architectes aspirent à dresser un inventaire des pratiques ancestrales et toujours porteuses d’avenir. « Pour la Biennale, nous avons proposé une installation holistique sur ce qu’est le Maroc, ce qu’il a été et ce qu’il ambitionne d’être dans le futur, en alliant high-tech et low-tech, et en mettant en avant le fait qu’il existe des architectures fort diverses construites avec plusieurs terres, du pisé à l’adobe, en passant par la brique de terre comprimée ou cuite », précise Khalil Morad El Ghilali. L’idée est de cartographier les différentes régions du Maroc en les associant à diverses techniques du bâti. « L’une des choses les plus fascinantes de ce pays, c’est sa diversité et sa richesse, ajoute Khalil Morad El Ghilali. Le Maroc, ce n’est pas seulement Marrakech ou Tanger, c’est aussi un enchevêtrement de paysages et de couleurs. Il est important de montrer cette richesse ethnique, culturelle et cultuelle, et de ne pas limiter notre compréhension à l’architecture arabo-mauresque ou sahraouie, par exemple. »
Se recentrer sur le local revient, pour les deux architectes, à considérer que le territoire façonne toujours notre manière de vivre. En recherchant les liens entre les modes d’habitation et les techniques du bâti, ils réhabilitent des pratiques ayant traversé les siècles. « Lorsqu’on est montagnard, commente Khalil Morad El Ghilali, on a une façon très particulière de vivre l’espace. Quand on n’a pas accès aux ressources externes, qu’il n’y a ni route ni autoroute, on fait avec ce qui est disponible. On le magnifie de sorte à concevoir des techniques résistantes, durables et appropriées aux modes de vie.» Pour El Mehdi Belyasmine, Materiae Palimpsest s’apparente à un « mémorial » qui mettra aussi en valeur différents outils, dans une installation présentant 2 400 exemplaires suspendus, accompagnés d’une création sonore, afin d’immerger le spectateur « dans un patrimoine immatériel et l’inviter à se questionner sur l’avenir de la construction au Maroc, tout en contemplant les traces laissées par nos aïeux ».
Palimpseste architectural
Derrière cette volonté de rendre hommage à une intelligence collective, il s’agit aussi pour les deux architectes de mettre en lumière des savoirs et des savoir-faire en voie de disparition et mis à mal par des décennies d’acculturation. « La modernisation comme on l’a vécue au Maroc depuis un siècle s’est faite de façon très violente. Les gens n’ont plus confiance dans les techniques qu’ils avaient l’habitude d’utiliser. Cela recoupe également des problématiques liées à l’agriculture : il n’y a plus de mémoire du geste dans la culture de l’olivier, par exemple. On vit une vraie crise intergénérationnelle. Des savoir-faire se perdent à tout jamais », se désole Khalil Morad El Ghilali.
Pour cet enseignant-chercheur, la question de la réappropriation de ces compétences ancestrales passe d’abord par l’école, puis par des investissements dans la recherche scientifique et académique. « Je suis souvent sidéré de voir que les étudiants en architecture connaissent le baroque, le gothique, mais ignorent comment les différentes civilisations se sont stratifiées au Maroc, à quelle date Marrakech a été fondée ou quels sont les systèmes hydriques ou agraires qui sont les nôtres », déplore-t-il, explicitant la nécessité de prendre en considération ce palimpseste architectural et culturel marocain donnant son titre à leur pavillon.
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19e Biennale d’architecture, « Khalil Morad El Ghilali et El Mehdi Belyasmine. Materiae Palimpsest », 10 mai-23 septembre 2025, Pavillon marocain, Arsenal, Sestiere castello, campo della Tana 2169/F, 30122 Venise, Italie, labiennale.org