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Reportage

Jnane Élisabeth : histoire d’une collection

Pour la première fois avec cette ampleur, la collection d’Élisabeth Bauchet-Bouhlal est présentée à Marrakech au sein du resort Es Saadi, dont elle est la P.-D. G., et du nouvel espace Jnane Élisabeth, dans l’exposition « From Morocco with Love ».

Anaël Pigeat
19 juin 2025
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Vue de l’exposition «From Morocco with Love», Marrakech, Es Saadi Marrakech Resort, 2025. Courtesy d’Élisabeth Bauchet-Bouhlal

Vue de l’exposition «From Morocco with Love», Marrakech, Es Saadi Marrakech Resort, 2025. Courtesy d’Élisabeth Bauchet-Bouhlal

Arriver à Marrakech en 1966, afin de diriger l’hôtel que son père venait d’ouvrir, est une situation qui ressemble fort à un défi pour une jeune femme d’une vingtaine d’années. « C’était beaucoup plus facile qu’en France ! » répond Élisabeth Bauchet-Bouhlal. L’hôtel Es Saadi, c’est elle. C’est elle aussi qui a encouragé son fils Jean Alexandre et sa belle-fille Caroline à développer le resort qui s’étend aujourd’hui sur près de 10 hectares, et à y construire un palace, inauguré en 2007.

Viennent d’ouvrir successivement, dans un espace au premier étage du palace, une exposition chronologique intitulée « From Morocco with Love », et le cabinet permanent Jnane Élisabeth (jnane signifie « jardin » en arabe), accroché comme un salon – dont le contenu est destiné, à l’avenir, à se renouveler. Orchestrées par Hicham Daoudi, ces deux présentations permettent de retracer une histoire de l’art au Maroc depuis les années 1960. Leur première vertu est de rendre accessible au public une partie des œuvres qui composent la collection d’Élisabeth Bauchet-Bouhlal, et qui sont en général connues surtout par les livres. Se dessine aussi l’histoire « d’une collectionneuse qui se découvre elle-même », pour reprendre les termes de Juan Palao, responsable des archives de la collection.

Une histoire de l'art au Maroc

Le sens de l’aventure, le goût du risque et du plaisir qui semblent habiter Élisabeth Bauchet-Bouhlal lui viennent de son père, Jean Bauchet, acrobate puis entrepreneur de spectacles, devenu propriétaire, entre autres, du Moulin Rouge, du Théâtre du Châtelet et du Casino de Paris, avant d’acheter un vaste terrain à Marrakech, d’y construire le casino et l’hôtel Es Saadi. Des amitiés le lient à des artistes et des marchands, habitués du domicile familial. Élisabeth Bauchet-Bouhlal raconte volontiers les « comités d’acquisitions » qui se tenaient lorsqu’elle était enfant, une tradition qu’elle a gardée avec son mari Jamil Bouhlal. Ce dernier, ingénieur de mère française et de père marocain, qui fut longtemps à la tête de l’Office national des chemins de fer au Maroc, était lui aussi intéressé par l’art depuis son amitié avec Ahmed Cherkaoui – peintre et plasticien marocain –, avec lequel il partageait une chambre d’étudiant rue des Écoles, à Paris.

Aux origines de la collection, un premier cadeau de Jamil Bouhlal à sa femme, un Jardin enchanté d’Ahmed Louardiri. À partir de là, le couple Bauchet-Bouhlal n’aura de cesse de s’entourer d’œuvres pour faire perdurer leurs liens avec les artistes. La même année, en 1969, se tient place Jemaa El-Fna une exposition en plein air, organisée par Mohamed Melehi, Mohamed Chebâa, Farid Belkahia, Mustapha Hafid et Mohamed Hamidi. C’est un événement historique, mais Élisabeth Bauchet-Bouhlal est alors occupée à développer l’hôtel, et sa collection demeure un objet privé. Au fil des ans, de nombreux artistes fréquentent le Saadi, du photographe britannique Cecil Beaton aux membres du groupe The Rolling Stones, en passant par les peintres de l’École de Casablanca.

Au début des années 2000, les encouragements du souverain Mohammed VI ont pour effet de favoriser l’essor de la scène artistique à Marrakech. En 2010 et 2011, le Saadi accueille les deux premières éditions de la Marrakech Art Fair, et des ventes d’art en 2016 – les maisons Tajan et Sotheby’s se sont installées dans la ville. Ces développements correspondent à un autre coup d’accélérateur : la visite d’Élisabeth et Jean Alexandre Bauchet-Bouhlal à la première Foire d’art contemporain de Dubaï en 2007 : « Nous avons constaté l’intérêt des équipes curatoriales des musées du Golfe pour l’art marocain : il nous est apparu que le Maroc était pour eux, avec l’Égypte, comme l’Italie du Quattrocento. Alors nous avons voulu montrer qu’au Maroc, il n’y a pas que du sable. »

[L’exposition] donne très envie de voir, un jour, un musée consacré à la collection d’Élisabeth Bauchet-Bouhlal
.

Après ces années de découverte des scènes contemporaines d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne, et la naissance en 2013 de la Foire 1-54 créée par Touria El Glaoui, la fille du peintre Hassan El Glaoui, le récit des histoires de l’art au Maroc semble aujourd’hui faire l’objet d’un regain d’intérêt. Pour preuve, la présence concomitante de « From Moroco with Love » et de « Seven Contours One Collection », une présentation de la collection de la famille Lazraq orchestrée par le commissaire Morad Montazami au MACAAL (musée d’Art contemporain africain Al Maaden), à Marrakech.

C’est donc cette histoire de l’art au Maroc que dessine l’exposition « From Moroco with Love », comme aurait pu le faire un musée d’art moderne et contemporain à Marrakech, s’il existait. Elle s’ouvre par un ensemble d’œuvres d’artistes naïfs ou d’autodidactes comme Ahmed Louardiri, le peintre jardinier, Moulay Ahmed Drissi et son paysage du désert, Hassan El Glaoui et sa cavalcade de chevaux devant les remparts de Marrakech, mais aussi Chaïbia Talal, repéré un peu plus tard par le mouvement CoBrA.

Vue de l’exposition «From Morocco with Love», Marrakech, Es Saadi Marrakech Resort, 2025. Courtesy d’Élisabeth Bauchet-Bouhlal

« Une invitation à regarder, sentir, être »

Comme l’écrit Brahim Alaoui, ancien directeur du musée de l’Institut du monde arabe, à Paris, à propos de Farid Belkahia, Mohamed Melehi et Mohamed Chebâa : « Ces trois figures charismatiques incarnent la modernité postcoloniale au Maroc, élaborée dans les années 1960 autour de l’École de Casablanca. » Les principaux acteurs de celle-ci sont largement représentés, notamment Farid Belkahia, dont on retrouve les célèbres œuvres en peau, mais aussi une peinture précoce de 1962. L’histoire de l’art du monde arabe – les Biennales de Rabat en 1976 et de Bagdad en 1979 – est comme un sous-texte de l’exposition ; on aurait même eu envie d’en apprendre davantage par la médiation.

Leurs toiles, ainsi que celles de leurs camarades, se déploient ensuite, au fil de leurs parcours variés. Avant de revenir au Maroc, nombreux sont ceux qui sont partis étudier en Europe : en Espagne, en Italie, en République tchèque, à Prague, ou en Pologne, à Varsovie, et, souvent en France, à Paris. Ils portent en eux l’héritage du Bauhaus (Farid Belkahia), de l’abstraction américaine (Mohamed Melehi, lequel, lauréat d’une bourse de la Rockefeller Foundation, s’installe à New York de 1962 à 1964)... Mais à ces découvertes, ils associent les traditions artisanales du Maroc : le travail de la peau et du métal (Farid Belkahia), celui du textile (Cécile Boccara), ou encore la présence du signe, inspirée par les cultures amazighes (Ahmed Cherkaoui).

Certains plongent dans l’abstraction, comme Ahmed Yacoubi qui a rencontré Brion Gysin à Tanger. Au tournant des années 1970, sous l’effet d’une crise politique et d’une forme de désenchantement, les couleurs chatoyantes des œuvres qui précèdent s’obscurcissent, par exemple chez les peintres Mohamed Kacimi ou Fouad Bellamine. Et le corps humain réapparaît, dans les œuvres du peintre et sculpteur Mahi Binebine. La collection se poursuit à l’époque contemporaine, à travers des achats récents d’Élisabeth Bauchet-Bouhlal auprès de la jeune scène marocaine (Sara Ouhaddou ou Mustapha Akrim), dans deux salles traversées de perspectives thématiques : la mémoire, la lumière, le corps des femmes et la mise en cause de clichés sur l’Afrique du Nord.

Au bout du parcours vient d’être inauguré l’espace permanent Jnane Élisabeth, un accrochage dicté par les sens, comme un salon ou un boudoir, hors de toute chronologie. « C’est mon jardin secret, une série de coups de cœur, des œuvres qui se mêlent à la littérature et à la poésie, comme nous l’avons toujours fait au Saadi », souligne Élisabeth Bauchet-Bouhlal. Plusieurs fils conducteurs peuvent être tirés de cette présentation : figures d’anges, scènes de banquet, images de transcendance. Se distinguent particulièrement deux peintures de Latifa Toujani, un très bel ensemble de dessins d’Abbès Saladi ou encore une sculpture de Boujemâa Lakhdar – unique artiste d’Afrique du Nord présent dans l’exposition « Magiciens de la terre » au Centre Pompidou et à La Villette, à Paris, en 1989. D’autres œuvres de Farid Belkahia et de Mohamed Melehi complètent cet accrochage. « Ce n’est pas un musée, ce n’est pas un monument. C’est une invitation à s’asseoir, regarder, sentir, être », écrit Élisabeth Bauchet-Bouhlal. Cet aperçu donne pourtant très envie de voir, un jour, un musée consacré à cette collection, qui serait régi par l’esprit de la maison.

« From Morocco with Love », depuis le 17 mai 2025, Es Saadi Marrakech Resort, rue Ibrahim el Mazini, Marrakech, Maroc, essaadi.com

ExpositionsÉlisabeth Bauchet-BouhlalMarocMarrakechArt ContemporainCollections privées
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