En 2024, un pan discret mais essentiel de l’histoire de l’art moderne parisien s’effaçait de la scène. En effet, la galerie Jean Fournier, emblématique espace du 22 rue du Bac, fermait définitivement ses portes. L’annonce résonnait comme un écho subtil, presque feutré, dans le tumulte des métamorphoses parisiennes. Fondée en 1957, la galerie avait su se faire une place singulière entre abstraction lyrique et avant-gardes exigeantes. Mais la disparition, en décembre 2022, de Jean-Marie Bonnet, ex-président de la galerie et compagnon de route de Jean Fournier, avait précipité un épilogue que l’on pressentait.
« Suite à l’annonce de cette fermeture, la galerie a opéré divers gestes forts en direction des institutions publiques. Ceci, en hommage à son fondateur, grand défenseur des Frac dès leur création. Dans un premier temps, la galerie avait fait don à l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) à Paris, de l’ensemble de ses archives et estampes datées entre 1957 et 2024. Puis ce fut au tour du musée Fabre à Montpellier de recevoir un ensemble de tableaux signés d’artistes tels que Simon Hantaï, Michel Parmentier ou Jean Degottex », confie Émilie Ovaere-Corthay, directrice des lieux. Ceci, sans oublier la dispersion en décembre 2024, et sous le marteau de Christie’s, de 35 œuvres issues de la collection de la galerie à travers la vente « Vivre la couleur : hommage à Jean Fournier ».
Désormais, c’est le FRAC Picardie – Hauts-de-France qui s’apprête à devenir bénéficiaire d’un corpus de la galerie Jean Fournier. « Nous avions la volonté de sélectionner trois lieux de référence pour l’histoire de la galerie, éloignés les uns des autres afin de favoriser la circulation des publics et de l’information. Et de montrer que le binôme privé-public peut très bien fonctionner », souligne Émilie Ovaere-Corthay. Figurent ici une quarantaine d’œuvres graphiques, accompagnées de plus d’une centaine d’ouvrages, d’archives et de cartons d’invitation retraçant l’histoire de la galerie depuis les années 1950. Cette donation vient étoffer un fonds déjà marqué par la présence de Dominique De Beir, Gilgian Gelzer ou Bernard Moninot, et s’impose par sa diversité de formats et de générations.
« On y retrouve les pièces emblématiques de Pierre Buraglio ou Claude Viallat, artistes historiques de la galerie, mais aussi des œuvres de Pierre Mabille, Fabienne Gaston-Dreyfus ou Armelle de Sainte Marie. Une fresque du dessin contemporain qui va du crayon de couleur aux installations murales réactivables grâce à un cahier d’instructions comme celle de Peter Soriano », ajoute Émilie Ovaere-Corthay. À noter également, la présence significative d’artistes femmes, avec une sélection qui inclut notamment un pastel inédit d’Hélène Valentin, première œuvre graphique de l’artiste à entrer dans un FRAC. Elle témoigne de l’attention constante de la galerie à redonner voix aux figures oubliées.
Ainsi se referme, non sans panache, le parcours d’une galerie emblématique de l’abstraction franco-américaine d’après-guerre dont la mémoire, désormais confiée aux institutions, continue de tracer sa ligne dans l’histoire de l’art. Comme un rêve graphique qui refuse de s’effacer.