Comment votre institution s’est-elle organisée face aux mesures de confinement prises par le gouvernement ?
Le musée du Louvre, le musée national Eugène-Delacroix et le jardin des Tuileries étant fermés depuis plus d’une semaine maintenant, une nouvelle organisation de travail garantissant la sécurité du domaine mais également la continuité des fonctions essentielles s’est mise en place et elle fonctionne bien. Comme tout le monde, nous avons dû inventer, trouver des solutions afin de protéger notre patrimoine ainsi que les femmes et les hommes qui travaillent au musée. Tout s’est interrompu soudainement. L’arrêt des visites dans nos salles de personnes venues du monde entier admirer ce que l’humanité a créé de plus beau est sans doute ce qui est le plus frappant. Le silence a succédé à l’effervescence. Et les médias ne s’y sont pas trompés qui ont vu dans la fermeture du Louvre le symbole que l’on passait soudain une étape décisive dans la lutte contre la propagation du Covid-19.
Quelles incidences cette fermeture a sur les projets en cours ?
Nous avons interrompu la préparation des expositions du printemps, l’une sur le maître germanique de la Renaissance Albrecht Altdorfer, dont le travail est méconnu du grand public, et l’autre consacrée à la sculpture italienne, organisée avec le musée du Castello Sforzesco de Milan et intitulée « Corps et âmes. De Donatello à Michel-Ange » qui devait ouvrir début mai. Le calendrier pourrait nous permettre de les repousser sans les annuler. Il est difficile d’imaginer comment le public reviendra pour les expositions qui étaient prêtes à ouvrir ou qui venaient d’ouvrir : « Soleils Noirs » au Louvre-Lens que porte Marie Lavandier, directrice de ce musée, ou encore « Mesopotamia, Civilization Begins », l’exposition d’Ariane Thomas, conservateur au département des Antiquités orientales, qui devait ouvrir aux Getty Museum de Los Angeles. Nous pensons également tous à nos collègues italiens et à l’exposition sur Raphaël, si difficile à monter et qui n’a ouvert que 3 jours. Tant de travail mis en suspend. Les recherches que les archéologues du département des Antiquités égyptiennes commençaient à mener dans le Sérapéum de Saqqara se sont également brutalement interrompues. La reprise de cette fouille, là où l’ont laissée nos prédécesseurs, parmi lesquels Auguste Mariette en 1851, futur fondateur du Service des Antiquités de l’Égypte, ainsi que du premier musée archéologique du Caire, promettait de grandes avancées dans la connaissance des plus de 6 000 objets provenant du Sérapéum qui sont aujourd’hui conservés au Louvre. Ces objets totalisent en effet près de 10 % de la collection du département des Antiquités égyptiennes. Mais il faudra attendre.
Quels sont les autres programmes mis en suspend ?
La première table ronde à l’auditorium sur la politique d’acquisitions du Louvre qui aurait dû se tenir la semaine dernière et qui s’annonçait passionnante avait pour ambition d’expliquer aux amateurs, comme au grand public, ce qu’est une politique d’enrichissement des collections, d’en faire connaître les outils, comme le « classement trésor national » qui est parfois questionné, et d’aborder enfin les cas de réussites et de renoncements. Les chantiers pour embellir et mettre aux normes le palais multicentenaire, le transfert des œuvres situées dans les réserves inondables à destination du centre de conservation de Liévin, la restauration d’une imposante Athéna Pallas, le fleurissement du jardin des Tuileries, ou encore, le déploiement de téléphones portables aux agents d’accueil et de surveillance pour leur permettre un meilleur dialogue avec les visiteurs... tout est interrompu. Ce petit inventaire, loin d’être exhaustif, donne un aperçu de la diversité des métiers et des actions des 2 300 membres du personnel du Louvre.
Quels dispositifs avez-vous ou allez-vous mettre en place pour rester en contact avec vos usagers et le public ?
Cette période de pause forcée permet de nous rendre compte de ce fourmillement d’actions que nous menons au service des publics. Alors que nos possibilités de travailler sont plus que limitées, alors qu’on ne peut plus se rendre au Louvre, moi le premier, nous tâchons de proposer des contenus filmés, enregistrés et animés sur le site du Louvre et sur les réseaux sociaux, pour assurer notre mission de service public et tenter d’être une fenêtre ouverte sur le monde. Le désir de Louvre m’étonne toujours. De 40 000 visites par jour sur louvre.fr, nous passons à près de 400 000 visites jour. Et les non francophones sont toujours plus nombreux. Admirer, apprendre, comprendre, s’évader et trouver du sens, c’est bien sûr possible, même maintenant, surtout maintenant. La gravité de cette crise sanitaire rend en effet cette situation inédite. Le Louvre a déjà fermé lors de circonstances exceptionnelles, récemment avec les deux épisodes de crue ou à la suite des attentats et bien sûr, dans des circonstances encore plus dramatiques, lors des deux guerres mondiales. Mais cette situation est bien différente, par sa durée et par son impact inédit sur notre quotidien. Malgré les difficultés actuelles, nos missions ne sont pas et ne seront pas remises en cause. Le musée rouvrira un jour, dans les prochaines semaines et nous reprendrons notre cœur d’activités au service de la rencontre entre les œuvres et le public. Je mesure la chance que nous avons. Parmi les incertitudes qui pèsent dans le monde qui nous entoure, cet enracinement de notre musée vieux de plusieurs siècles agit comme un réconfort.