« Les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent. » Prêtée à Jacques Chirac, la citation a – ironie de l’histoire – trouvé un démenti récent au sein du musée parisien qui porte son nom. Le 27 octobre, Emmanuel Macron a officiellement acté, lors d’une visite de leur dernière exposition, au musée du quai Branly – Jacques Chirac, la restitution de vingt-six oeuvres des trésors royaux d’Abomey à la République du Bénin, en présence de Roselyne Bachelot, ministre de la Culture. La promesse, honorée à point nommé en pleine campagne présidentielle, remonte au 28 novembre 2017.
Le président de la République, dans son discours à l’université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, s’était engagé à « réunir les conditions pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ». Faisant suite aux préconisations du rapport remis en novembre 2018 par l’universitaire Felwine Sarr et l’historienne d’art Bénédicte Savoy, l’Élysée avait décidé de restituer ces statuettes, trônes et autres objets royaux, pillés par les troupes françaises dans les palais d’Abomey en feu en 1892, et revendiqués par les autorités du Bénin depuis 2016. Le Parlement a adopté le 24 décembre 2020 le texte dérogeant exceptionnellement à l’inaliénabilité des collections publiques, pour permettre leur restitution définitive d’ici fin 2021. Le sabre et le fourreau d’El Hadj Omar Tall, réclamés par la République du Sénégal, ont depuis été restitués à Dakar. Lors du Nouveau Sommet Afrique- France, à Montpellier le 8 octobre, Emmanuel Macron a annoncé que des échanges sont en cours avec la Côte d’Ivoire en vue d’une future restitution du « tambour parleur » Djidji Ayokwe des Ebrié, confisqué en 1916 par les colons.
Selon l’Élysée, la France accompagne, à hauteur de 35 millions d’euros, la réalisation du futur musée de l’Épopée des amazones et des rois du Danhomè à Abomey, au Bénin, qui accueillera à terme les vingt-six oeuvres du « trésor de Béhanzin » – dernier roi à avoir pris la fuite devant l’avancée des troupes françaises. Cet engagement implique notamment la construction du bâtiment et la réhabilitation des palais royaux. En attendant l’ouverture du musée d’Abomey, les œuvres rejoindront le musée d’Histoire de Ouidah. La coopération culturelle entre les deux pays prévoit en outre des programmes conjoints de formation pour les conservateurs français et béninois, de bourses pour les étudiants en patrimoine et des résidences croisées.
La restitution de ces butins de guerre s’inscrit dans une volonté politique de renouveau des relations entre l’Hexagone et l’Afrique – des liens historiques forts, longtemps entachés par le passé colonial et la Françafrique. L’enjeu, majeur, est, selon la présidence de la République, de « permettre à la jeunesse africaine d’avoir dans ses musées une part de sa propre histoire ».
Lors de son allocution au musée du quai Branly – Jacques Chirac, le président français a ainsi rappelé l’ambition de cette démarche : « Permettre aux Africains de dire leur part du monde, et aux regards français sur le continent africain de changer. Décentrer notre regard. Bâtir un nouvel espace des possibles. Le but de tout cela n’est pas de renationaliser les patrimoines de chacun, ou que la France puisse se débarrasser de tout ce qu’elle a des patrimoines des autres. Il s’agit de permettre à chacun de retrouver ce à quoi la France a contribué à travers son histoire et qu’elle doit maintenant partager, un rapport à l’universalisme. L’objectif que nous poursuivons, c’est la possibilité par les restitutions, les coopérations, la circulation des œuvres, que demain des jeunes Africains puissent avoir accès à une part de leur art, de leur patrimoine, de ce qui a été produit chez eux, mais aussi aux plus belles œuvres du patrimoine européen, américain, par des expositions rendues possibles par un universalisme devenu accessible. Ces œuvres vont revenir, elles retrouveront des terres qu’elles avaient quittées il y a si longtemps, en y retrouvant leur sens. Ce chemin de retour est une autre voie. Pour citer Aimé Césaire, elles sont la démonstration que cette autre rencontre est possible. Parce que ce retour est juste, ce chemin possible est celui qu’il nous convient de poursuivre, une route prise dans la bonne direction, qui en ouvre tant d’autres – choisies celles-ci, assumées, voulues, parce que partagées, d’égal à égal. »
Le 9 novembre, le président français reçoit le président de la République du Bénin Patrice Talon afin de signer officiellement l’acte de restitution, avant le retour des œuvres dans leur pays d’origine, près de cent trente ans après leur entrée dans les collections françaises. Cette première restitution d’ampleur, dont l’indéniable dimension de diplomatie culturelle est destinée à ouvrir une nouvelle page, avec pour toile de fond les échanges commerciaux avec le continent africain, n’est cependant pas du goût de tous. Le marché des arts premiers y voit une épée de Damoclès, quand d’aucuns redoutent l’ouverture de la boîte de Pandore.