Avec son goût pour la transformation et l’expérimentation, sa façon de chevaucher tous les styles, sa manière de croiser tous les médiums, Sigmar Polke a de quoi dérouter. L’exposition que lui consacre Le Bal, centrée sur sa production photographique des années 1970 et 1980, ajoute une nouvelle strate de complexité au mille-feuille de son œuvre inclassable, riche en détours et facéties. Ce n’est pas la première fois que les photographies de Sigmar Polke sont exposées et que l’on mesure l’am-pleur de cette pratique dans sa carrière. Le Museum of Contemporary Art, à Los Angeles, les a dévoilées dès 1995; le Getty Center, dans la même ville, leur a également dédié un ambitieux accrochage en 2007. Réunies au Bal, les deux cents photographies n’en restent pas moins un événement, puisqu’elles sont inédites. Révélées l’an dernier au Museum Morsbroich, à Leverkusen, en Allemagne, elles proviennent d’une valise, contenant cinq cents tirages et sérigraphies, que Sigmar Polke a confiée à son fils Georg. « Cet ensemble est intéressant, car il constitue une sorte de carottage dans l’univers photographique de Sigmar Polke, confie Bernard Marcadé, qui signe le commissariat de l’exposition avec Georg Polke et Diane Dufour. On y trouve aussi bien des photos de famille ou d’amis que des clichés de voyage à Paris ou en Afghanistan, des natures mortes, des documents destinés à être traités picturalement, des photogrammes. Mais, quel que soit le registre d’images, elles font toutes l’objet d’expérimentations graphiques et chimiques. Il y a même des photos hallucinantes et hallucinées réalisées sous l’emprise du LSD. »
Ses prises de vue témoignent autant du désir de garder une trace de moments vécus que de l’envie paradoxale de les faire disparaître sous un feu d’artifice de manipulations.
L'obsession de l'expérimentation
Des photographies de Sigmar Polke, on pourrait dire, de prime abord, que l’on n’y voit rien. Les juxtapositions, les expositions multiples, les gros plans extrêmes, les sous-expositions et les surexpositions font de chaque épreuve une sorte de palimpseste dont on distinguerait en même temps toutes les couches. « Sigmar Polke a une approche de la photographie artisanale, amateur et à vrai dire proche du sabotage, souligne Bernard Marcadé. « Un négatif n’est jamais fini. Tu peux gérer un négatif. Tu peux faire ce que tu veux », disait de son côté Sigmar Polke, qui réinventait l’image dans sa salle de bains, dans une démarche à la fois ludique et spectrale. L’artiste nourrissait une passion pour les photos spirites. On retrouve cette dimension dans ses prises de vue qui témoignent autant du désir de garder une trace de moments vécus – clichés réalisés durant ses vernissages, portraits de ses petites amies dénudées, instantanés de clochards à ras de trottoir – que de l’envie paradoxale de les faire disparaître sous un feu d’artifice de manipulations. « Il ne s’intéresse pas, comme Gerhard Richter, à la question mimétique, il est obsédé par l’idée de faire apparaître et disparaître, admet Bernard Marcadé. Les innovations techniques qu’il a découvertes en chambre noire rejaillissent d’ailleurs dans ses peintures, où l’on retrouve les motifs de la trame et de la superposition. Il existe chez lui une contamination réciproque de ces deux domaines, au point qu’il est autant possible d’évoquer la dimension photographique de ses peintures que la dimension picturale de ses photographies. »
« Les Infamies photographiques de Sigmar Polke », 13 septembre-22 décembre 2019, Le Bal, 6, impasse de la Défense, 75018 Paris.