De quoi l’installation de David Zwirner à Paris est-elle le nom ? Assurément d’un tournant prometteur pour la capitale. « C’est l’un des signes annonciateurs que Paris devient à son tour une ville prioritaire pour les grandes galeries internationales. Mais leur venue est-elle liée au Brexit ou au fait qu’aujourd’hui, ces firmes se doivent d’être présentes dans toutes les capitales majeures du monde ? Sans doute un mélange des deux. En tout cas, c’est une très bonne nouvelle », observe Georges-Philippe Vallois, président du Comité professionnel des galeries d’art.
« La sinistrose est finie »
L’ouverture de Zwirner le 16 octobre, pendant la Fiac, dans l’ancien espace de la VNH Gallery, avec une exposition de Raymond Pettibon, n’est en effet pas un cas isolé. Après Thaddaeus Ropac installé de longue date, Gagosian en 2010, Zwirner cette année, des personnes bien informées affirment aussi que Hauser & Wirth et Dominique Lévy (Lévy Gorvy) recherchent activement un lieu… À qui le tour ?
Ces dernières décennies, les méga-galeries préféraient Londres, New York ou Hong Kong pour se développer. Le marché et les acheteurs étaient là, au détriment de la Ville Lumière, dont l’éclat avait pâli. Il semble qu’en 2019, la situation soit plus favorable. « La venue de Zwirner à Paris signifie qu’il considère qu’il y a ici un marché potentiel, contrairement à ce que l’on entend tout le temps. Le Brexit joue cependant un rôle décisif, même si nul ne sait comment il va se dérouler », confie Marion Papillon, organisatrice du Paris Gallery Weekend. Certes, l’ouverture d’espaces dans la capitale par des galeries comme Zwirner et, sans doute bientôt, Hauser & Wirth peut répondre à des impératifs opportunistes liés principalement au Brexit et à la nécessité d’avoir une antenne – stable! – en Europe, tant pour stocker que pour vendre des œuvres. Mais leur présence est aussi le signe que Paris est redevenu attractif, entre autres grâce au dynamisme de foires comme la Fiac ou Paris Photo, qui attirent nombre de poids lourds mondiaux. « En vingt ans, Paris a changé, explique Fabienne Leclerc, directrice de la galerie In Situ. Cinq à six jeunes galeries se partageaient alors une quinzaine de collectionneurs. Aujourd’hui, ils sont des milliers et, chaque année, nous vendons à des acheteurs étrangers à la Fiac ! La sinistrose est finie. » Le choix récent de Paris pour ouvrir un second lieu, tant pour Freedman Fitzpatrick, venu de Los Angeles, que pour la galerie de Stockholm Andréhn-Schiptjenko, montre que la capitale a également un intérêt pour les galeries de taille moyenne. Le renouveau de la place parisienne côté institutions privées n’est sans doute pas étranger à ces décisions, de l’avènement de la Fondation Louis-Vuitton à l’ouverture prochaine de la Pinault Collection ou à celle de la Fondation Cartier dans l’ancien Louvre des Antiquaires, sans compter le dynamisme de la Fondation d’entreprise Ricard.
A l’est, un écosystème pour l’art contemporain
Loin du Marais de Zwirner, Ropac ou Perrotin, Fabienne Leclerc participera le 20 octobre, à Romainville, à l’inauguration de Komunuma, un phalanstère de galeries audacieuses pour lesquelles l’Est parisien ouvre de nouveaux horizons, dans le cadre d’un projet promu par Fiminco. Pour ce club des cinq – Air de Paris, Vincent Sator, Jocelyn Wolff, Imane Farès et In Situ –, les enjeux ne sont évidemment pas les mêmes que ceux des big five (où figurent Gagosian et Hauser & Wirth). « Cette envie de trouver de nouveaux lieux était dans l’air avant même le projet Fiminco, précise Fabienne Leclerc. Air de Paris, Jocelyn Wolff et moi cherchions des locaux. Or, dans Paris, l’offre n’est pas intéressante ou bien à des prix très élevés. Envisager le Grand Paris avait pour nous un sens, celui d’un engagement fort. »
la présence de grandes galeries est aussi le signe que paris est redevenu attractif, entre autres grâce au dynamisme de foires comme la Fiac ou paris photo.
L’union fait la force. La fine équipe ne sera pas seule. Un écosystème autour de l’art contemporain est en train de se mettre en place dans l’Est parisien, avec l’espace de Thaddaeus Ropac à Pantin, La Galerie – Centre d’art contemporain à Noisy-le-Sec, le Centre national des arts plastiques prévu en 2020, le Frac Île-de-France… Fabienne Leclerc fait le pari que les gens viendront. «Certains nous disent que c’est le bout du monde. Mais ce n’est pas le cas, c’est à une vingtaine de minutes en métro du centre de la capitale – il faut plus de temps pour traverser Paris… Quand nous nous étions installés à Stalingrad, on nous avait déjà dit que c’était le Bronx ! C’est très parisien de raisonner ainsi. » Ce qui rassemble ces galeries ? « Des parcours assez personnels, des programmations marquées et des artistes dont les prix vont de quelques centaines à quelques centaines de milliers d’euros, certains plus dans le marché que d’autres, qui sont des artistes de musées et de biennales», résume-t-elle.
Le but de ce décentrage ne semble donc pas tant d’attirer de nouveaux clients que de promouvoir les artistes dans des conditions optimales pour présenter leur travail, notamment aux représentants des institutions. « Au moins 50% de notre chiffre d’affaires est réalisé hors de la galerie, pendant les foires. De toute façon, on ne travaille plus grâce au passage en galerie, comme il y a trente ans », rappelle Fabienne Leclerc. Romainville sera donc d’abord une vitrine dans un cadre que les quartiers de Paris ne permettent plus d’avoir. En effet, « le Marais a été chic et dans le coup, un Eldorado dans les années 1980 avec de beaux locaux industriels mais, aujourd’hui, il n’y en a plus. Nous avons donc prospecté ailleurs. » Romainville deviendra-t-il un nouveau 13e arrondissement, pérennité en plus ? Toujours est-il que d’autres galeries seraient sur les rangs. Deux bâtiments de Komunuma sont dévolus aux galeries, avec des espaces disponibles. « Le 13e a peiné à devenir un quartier séduisant. Pour suivre la voie de Chelsea, Romainville devra être vivant et agréger des restaurants, des cafés… », nuance un galeriste. « Ropac fait venir des collectionneurs importants lors de grands dîners, mais ce public choisi se rendra-t-il à Komunuma ? » s’interroge un autre. Quant à l’arrivée des poids lourds dans le centre de Paris, il est encore trop tôt pour juger de l’impact effectif… sur les autres. Ces nouveaux arrivants aux gros moyens et au réseau mondial peuvent-ils s’intéresser aux artistes les plus bankable des enseignes françaises ? Et « quel est le degré de captivité des collectionneurs qui viennent voir Zwirner ou Hauser & Wirth ?, se demande Georges-Philippe Vallois. Voici le véritable enjeu : cela peut-il bénéficier à l’ensemble du tissu parisien des galeries? Je veux le croire. »