En 2017, un marchand parisien découvrait 91 dessins néoclassiques d’un artiste alors absolument inconnu : Jean-Marie Delaperche. La seule chose que l’on savait de lui, c’est qu’il était né en 1771 à Orléans. Immédiatement convaincu de l’importance des œuvres, le musée des beaux-arts de la ville décide d’en faire l’acquisition, épaulé par une souscription publique couronnée de succès. Deux ans plus tard, cet ensemble inédit est enfin dévoilé au public, dans une exposition forcément pleine de surprises.
Surprise tout d’abord de découvrir un grand artiste, dont les dessins révèlent les éclatantes qualités. Chaque feuille, extrêmement achevée, témoigne de son passage dans l’atelier de David, aux côtés de Girodet. Les compositions souvent très complexes, très théâtrales, se distinguent par un traitement d’une sophistication rare. Le peintre utilise le blanc comme une couleur, ce qui lui permet de renforcer les effets d’ombres et de contrastes. Dans l’un de ses dessins les plus évocateurs, au titre mélancolique – Tous les âges passent sur l'aile du temps –, les figures de Delaperche se détachent sur fond noir, comme surgissant des ténèbres.
À la singularité de son style, il faut ajouter celle de son inspiration. C’est grâce à cette dernière que l’exposition peut retracer la vie du peintre, et tenter de dresser une véritable chronologie de l’œuvre. Beaucoup de sujets sont fortement autobiographiques. La pittoresque Scène de mal de mer rappelle sans doute le départ de la famille Delaperche pour la Russie, et le terrible Naufrage de 1815 fait écho à un double drame, Moscou dévasté et la fin de ses rêves de bonheur. L’anéantissement de ses projets d’aventure et de carrière se cristallise dans ses dessins où transparaît peu à peu un engagement politique intense. Certains sujets historiques ou allégoriques, comme Néron épouvanté par l’ampleur de ses crimes, sont une allusion à peine voilée aux événements présents, et aux crimes supposés d’un autre despote, Napoléon 1er.
Très marqué par l’influence de la peinture anglaise comme celle de William Hamilton, avec laquelle il se familiarise grâce aux estampes vues en Russie, Jean-Marie Delaperche se remémore des épisodes de la Révolution française, et défend le souvenir de la famille royale déchue. Le plus impressionnant de ces dessins « politiques » est sans doute Les adieux de Louis XVI à sa famille, qui consacre son talent de peintre d’histoire. Cette scène au pathos débridé met en lumière la grande sensibilité de l’artiste pour l’expression du sentiment, héritée des maîtres du XVIIIe siècle mais qui, déjà, ouvre la voie vers le romantisme.
L’autre surprise de l’exposition, c’est de découvrir non pas un seul artiste, mais deux, sinon trois. Il faut aller à Orléans pour apprendre que Jean-Marie Delaperche avait une mère artiste, Thérèse Laperche, formée dans l’entourage de Jean-Baptiste Perronneau, un célèbre portraitiste mis à l’honneur dans ce même musée des beaux-Arts à l’été 2017. Une fois à Paris, cette mère qui fréquente les ateliers de Vigée-Le Brun et de Greuze fait tout pour que ses enfants reçoivent la meilleure éducation intellectuelle et artistique. Une éducation qui porta ses fruits tant pour Jean-Marie que pour son frère Constant, qui sort lui aussi de l’oubli complet dans lequel il était tombé. Il était pourtant peintre, et même sculpteur. L’une des rares œuvres qui lui soit attribuée avec certitude est même présentée au sein du parcours : il s’agit du décor sculpté de la chapelle du château de La Roche-Guyon, qu’une heureuse restauration a permis de démonter exceptionnellement.
Moment particulièrement rare de l’histoire de l’art, cette exposition n’est que le premier jalon d’un ample processus de redécouverte, qui devrait réserver encore de nombreuses surprises à mesure que progresseront les recherches fraîchement amorcées. Cette famille d’artistes est loin d’avoir révélé tous ses secrets. Le séjour russe de Jean-Marie reste dans une relative pénombre, la destination de cet incroyable ensemble de dessins est toujours aussi mystérieuse, et l’œuvre de Constant – bien plus vaste qu’il n’y paraît au premier abord – mériterait d’être explorée plus avant. Espérons que les sculptures monumentales qu’il réalisa au cœur de Paris pour la chaire de l’église Saint-Roch, disparues depuis leur dépose au milieu du XXe siècle, seront bientôt retrouvées.
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« Jean-Marie Delaperche (1771-1843), un artiste face aux tourments de l’Histoire », jusqu’au 14 juin 2020, Musée des beaux-arts, 1 rue Fernand Rabier, 45000 Orléans.
COMMISSARIAT :
Olivia Voisin, directrice des musées d’Orléans
COMITÉ SCIENTIFIQUE :
Dominique d’Arnoult, docteure en histoire de l’art - Mehdi Korchane, responsable du cabinet des arts graphiques des musées d’Orléans - Sidonie Lemeux-Fraitot, responsable des collections du Musée Girodet - Guillaume Nicoud, docteur en histoire de l’art - Anne-Véronique Raynal, archiviste-paléographe, ingénieur de recherche au CNRS retraitée - Olivia Voisin, directrice des musées d’Orléans