Pour sa sixième édition, la triennale nomade consacrée aux collections françaises d’art contemporain, aussi appelée « De leur temps », fait halte à la Collection Lambert à Avignon. Les salles des deux anciens hôtels particuliers suffisent à peine pour accueillir cette exposition tentaculaire organisée avec l’Adiaf (Association pour la diffusion internationale de l’art français) qui réunit 182 pièces dues à 77 artistes et prêtées par 142 collection(neur)s différents. Autant dire que l’ensemble est des plus diversifiés. Stéphane Ibars, son commissaire, a bien tenté de dégager quelques pistes en déterminant cinq grands chapitres aux dimensions variables qui balisent le propos, s’efforcent de le contenir et parfois de mettre les œuvres en perspective ou en résonance. On pense à l’étonnant, mais réussi, dialogue entre François Morellet et Lawrence Abu Hamdan, à la salle introductive avec Sigalit Landau, Marguerite Humeau et Michael DeLucia, ou à celle réunissant Théo Mercier, Raphaël Denis et Axel Roy ou encore les appropriations de Tatiana Trouvé, Yann Sérandour, Valentin Carron et Éric Baudart. Une constante : l’objet hybride et détourné s’impose et constitue l’un des fils conducteurs ou l’une des familles de ce parcours où les découvertes sont nombreuses.
L’hétérogénéité domine, car comment faire autrement – à partir de collections aux identités, aux rapports avec les artistes et aux histoires pour le moins diverses – sur la base de l’ambitieux postulat de cette édition : montrer exclusivement l’art produit au XXIe siècle. En effet, à la différence des éditions précédentes où les œuvres présentées devaient avoir été achetées dans l’intervalle de trois ans entre deux triennales, cette fois le « temps de référence » a été porté à vingt ans, de quoi coïncider avec les deux premières décennies de ce nouveau siècle. Il faut donc considérer cette exposition comme un instantané parmi la création de ces vingt dernières années, telle qu’elle a été sinon vue, du moins acquise, en France. Qu’achètent les collectionneurs en ce début du XXIe siècle ? Manifestement de tout, à l’image des pratiques, des questionnements et des supports hétérogènes utilisés par ces deux générations d’artistes qui ont succédé à celle des avant-gardes historiques, dont Yvon Lambert, à l’origine de cette institution avignonnaise, s’est fait le meilleur défenseur en France. Un détour par les salles permanentes et leurs œuvres minimalistes qui n’excluent pas la picturalité est édifiant à cet égard. L’ancien galeriste, lui-même collectionneur de haut vol, s’est par ailleurs invité à cette « fête des collectionneurs », en commandant plusieurs œuvres à David Horvitz, artiste californien qu’il soutient. Avec Laure Prouvost et Louise Sartor, présentes avec plusieurs pièces issues d’une même collection (Bonnin pour la première, Fuchs pour la seconde), il s’agit d’exceptions, car les créations des autres artistes montrées ici plusieurs fois (Julien des Monstiers, Laurent Grasso, Françoise Petrovitch, Lionel Sabatté) proviennent toutes de collections différentes. C’est là une des autres caractéristiques de la façon de collectionner aujourd’hui : rassembler une extrême diversité de propos où tout esprit de chapelle est banni.
Que retenir de cet art de notre temps, celui de début d’un millénaire ? Une constatation s’impose – l’air de rien car nulle part mentionnée, parce que sans doute involontaire et du coup révélatrice – : les artistes femmes sont (légèrement) majoritaires dans cette sélection, alors qu’aucun quota ou directive ne fut requis. Nul doute que la vitalité de la scène de l’art contemporain, et même française, leur doit beaucoup. La salle la plus emblématique quant à l’implication et l’engagement du collectionneur, mais aussi reflétant une autre façon d’exposer une collection, est celle dévolue à Daniel Bosser, sous le titre pertinent d’« Espacements ». Il s’agit d’un « dispositif » réactivé ici pour la quatrième fois par son auteur, Quentin Lefranc. Au gré de sa déambulation dans ce labyrinthe modulable et semi-transparent, le visiteur découvre différentes œuvres de la collection (Benoît Maire, Mathieu Mercier, Caroline Reveillaud, Évariste Richer, Raphaël Zarka). À l’instar de ses modules, cette salle fonctionne comme une véritable charnière dans le parcours de l’exposition où ce qui se voit et s’entend requiert une judicieuse proximité avec les pièces, alors que toutes conservent leur autonomie.
Cette question de dispositif revient en écho au sous-sol quasi intégralement consacré aux pièces vidéo, une des belles surprises de cette manifestation qui leur offre des conditions optimales de présentation. On peut y visionner des œuvres emblématiques d’Edith Dekyndt, Anri Sala, Dewar & Gicquel, Laure Prouvost et la révélation des Rencontres d’Arles de l’année dernière, Evangelia Kranioti. Des projections d’Ange Leccia et d’Enrique Ramirez, l’un des nommés au Prix Marcel Duchamp 2020, figurent, elles, dans le parcours général. Lumineux !
« Collectionner au XXIe siècle. De leur temps (6) », jusqu’au 15 mars, Collection Lambert, 5 rue Violette, 84000 Avignon. Catalogue, en coédition avec Silvana Editoriale, 152 p., 30 euros.