« La culture a un rôle à part. […] Les lieux de création doivent revivre, les artistes recréer », a déclaré hier (mercredi 6 mai 2020) Emmanuel Macron après deux heures de vidéoconférence avec différents artistes. « Le 11 mai, les musées, les galeries d’art, les librairies doivent pouvoir rouvrir », a t-il précisé.
Attendus au tournant par le monde de la culture, le chef de l’État et le ministre de la Culture, Franck Riester, ont ébauché ce mercredi un nouveau plan de soutien, dont un « grand programme de commandes publiques » destiné particulièrement aux jeunes artistes. Mais les annonces laissent les principaux intéressés dans un flou… artistique. « Le gouvernement a annoncé une « année blanche » pour les intermittents, pourquoi ne pas prendre des mesures similaires pour les artistes ? », réagit le peintre Olivier Masmonteil. Ce dernier a cofondé en février 2019 le réseau ASAP (Association de soutien des artistes professionnels) pour accompagner les plasticiens dans leurs démarches administratives. « Depuis le début de la crise, nous sommes très sollicités pour aider les artistes à gérer l’urgence au quotidien, explique-t-il. L’annulation en série des projets artistiques a été une douche froide ».
LA CRISE DU COVID-19 EST SYNONYME D’UN CATACLYSME QUI RISQUE DE DURER AU-DELÀ DU CONFINEMENT
Galeries en péril, expositions annulées, commandes suspendues, mais aussi arrêt des jobs complémentaires tels que monteurs d’expositions ou gardiens de musées… Pour les artistes, la crise du Covid-19 est synonyme d’un cataclysme qui risque de durer bien au-delà du confinement. Une enquête en ligne, menée du 18 mars au 15 avril par la Fédération des professionnels de l’art contemporain (Cipac), a donné un premier aperçu des dégâts. Les 1 310 réponses recueillies, dont 70 % proviennent d’artistes-auteurs, révèlent que plus de 50 % des activités de diffusion et expositions ont été reportées. Les projets plus petits, qui disposent d’un budget modeste (inférieur à 5 000 euros), ont quant à eux été massivement annulés.
« Les artistes-auteurs ont été très nombreux à répondre à cette enquête. Leurs retours nous aident à penser des mesures d’urgence pour les soutenir ainsi que tous les indépendants, commissaires d’expositions, critiques d’art, conservateurs-restaurateurs, monteurs, médiateurs qui sont les premières victimes de cette crise, expliquait Pascal Neveux, président du Cipac et directeur du FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur dans notre édition du 3 avril. Combien survivront si nous ne prenons pas des mesures pour les soutenir en maintenant nos politiques d’acquisition ? »
Les dernières annonces du gouvernement accompagnent les premières mesures prévues. Parmi les aides déjà débloquées, le fonds d’urgence du Centre national des arts plastiques (Cnap), doté de 500 000 euros, doit compenser les pertes de rémunérations subies par des artistes, auteurs, commissaires, critiques, théoriciens d’art pour l’annulation d’expositions et d’événements, dans la limite de 2 500 euros. Mais derrière les apparentes bonnes nouvelles, l’accès concret aux aides peut ressembler à un parcours du combattant pour les artistes, entre lenteur administrative et conditions d’attribution restrictives. « Les dispositifs actuels mettent de côté beaucoup de situations spécifiques, explique Antinéa Garnier, directrice de l’association La Maison des artistes. Pour percevoir cette aide du Cnap, il faut présenter un document qui atteste d’une rémunération contractualisée alors que beaucoup d’artistes exposent chez eux ou dans leurs ateliers, sans l’intermédiaire d’une galerie ou d’un lieu de diffusion ». Pour bénéficier de l’aide compensatoire du Cnap, il faut aussi que l’événement reporté ou annulé l’ait été à cause de la crise sanitaire, que l’artiste soit inscrit à la Sécurité sociale des artistes-auteurs, et qu’il n’occupe pas un autre emploi salarié.
L’ACCÈS CONCRET AUX AIDES PEUT RESSEMBLER À UN PARCOURS DU COMBATTANT POUR LES ARTISTES
Le même scepticisme entoure le fameux fonds de solidarité, destiné aux entreprises, indépendants et professions libérales et étendu aux artistes-auteurs. « À ce jour, le fonds de solidarité reste une « loterie » pour les artistes-auteurs », déplore sur son site le CAAP (Comité Pluridisciplinaire des Artistes-Auteurs et des Artistes-Autrices), qui réclame un plan de soutien spécifique pour ce secteur déjà fragilisé avant la crise. Le comité, comme ASAP et La Maison des artistes, s’inquiète d’une situation qui menace durablement les plasticiens. « L’association reçoit des artistes très précaires qui pâtissent encore de la crise financière de 2008, s’alarme Antinéa Garnier. Les répercussions de la crise du Covid-19 sont à envisager sur le long terme ». Son association revendique la possibilité de cumuler les différentes aides et de les maintenir au-delà de l’état d’urgence sanitaire. Elle compte aussi sur l’annulation des loyers des ateliers plutôt que sur leurs suspensions, avec un maintien des prestations sociales.
LE CNAP VIENT DE LANCER DEUX NOUVEAUX PROGRAMMES DE COMMANDES PUBLIQUES
Béatrice Salmon, directrice du Cnap, confie espérer pouvoir proposer à l’avenir davantage de mesures de soutien. « Tout le monde est conscient que la première aide apportée était un premier pas, combien cette crise va être longue, combien elle ravage nos modes habituels de fonctionnement, de travail et de vie. Ce soutien devra être augmenté et renouvelé. Cette première aide correspondait à un moment précis, celui du confinement. La formule doit évoluer pour répondre progressivement aux besoins », affirme-t-elle. Outre la nécessité d’un accompagnement à long terme, elle souligne aussi l’importance de maintenir les commandes et l’urgence d’une rémunération plus juste des artistes. « Il y a une nécessité de trouver des dispositifs qui favorisent cette rémunération, comme celle du droit de présentation, qui rémunère les artistes plasticiens lorsqu’ils exposent », précise-t-elle.
Pour soutenir la création face à la crise, le Cnap vient de lancer deux nouveaux programmes de commandes publiques. En partenariat avec le Jeu de Paume, l’initiative « Image 3.0 » s’adresse aux artistes qui mettent en lumière les « nouvelles écritures et mises en forme de l’image ». Annoncé hier, le programme de commandes « La vie bonne » a été pensé avec l’association AWARE et choisira dix projets d’artistes femmes de la performance. « Il s’agit de contributions modestes, avec une dizaine d’artistes choisis à chaque fois, mais c’est une manière de continuer à soutenir la création, de mobiliser les artistes, de favoriser le désir de créer », indique Béatrice Salmon.
Commandes, acquisitions, aides à la production… Heureux contrepoints, des initiatives de soutien ont été lancées par les Fonds régionaux d’art contemporain (FRAC) et les centres d’art, moins menacés que les structures indépendantes dans l’immédiat. Le FRAC Nouvelle-Aquitaine MÉCA, à Bordeaux, va accompagner 25 projets pour soutenir les artistes fragilisés par la crise. Le FRAC Auvergne a quant à lui annoncé hier l’acquisition de 35 œuvres de 17 artistes, grâce à un budget augmenté. « Exceptionnellement, un acompte de 50 % du montant des acquisitions a immédiatement été versé aux artistes et aux galeries, sans attendre la livraison des œuvres rendue complexe par la crise sanitaire », précise dans un communiqué Jean-Charles Vergne, directeur du FRAC Auvergne.
DES INITIATIVES DE SOUTIEN ONT ÉTÉ LANCÉES PAR LES FONDS RÉGIONAUX D’ART CONTEMPORAIN ET LES CENTRES D’ART
Pour les associations et les petites structures culturelles qui sont plus durement touchées, Emmanuel Macron a annoncé hier des « dispositifs d’accompagnement qui se poursuivront au-delà de la fin de la période de confinement », avec des « apports en fonds propres » pour lesquels la Banque Publique d’Investissement (BPI) sera mobilisée. Mais aussi le projet d’inviter des artistes dans les écoles jusqu’à juillet pour « mener une révolution de l’accès à la culture et à l’art », leur éventuelle rémunération n’étant pas précisée. Quant au « grand programme de commandes publiques », il faudra encore attendre pour en connaître les contours.