De ses années de jeunesse passées à fréquenter surréalistes, lettristes et anarchistes, Claude Pélieu a conservé toute sa vie un goût prononcé pour la liberté, tant à l’égard de la forme poétique que de la vie. Formé aux Beaux-Arts de Paris, il commence très tôt à écrire et à pratiquer le collage, au contact de Jacques Prévert.
Claude Pélieu pratique ce qu’il nomme le « script-vite », parent de l’écriture automatique et du cut-up.
Au début des années 1960, il tourne le dos aux avant-gardes françaises, dominées par le Nouveau Roman et la revue Tel Quel, qu’il juge d’ores et déjà sclérosés, pour s’installer aux États-Unis avec sa compagne, l’artiste Mary Beach. À San Francisco, puis à New York, il se lie bientôt d’amitié avec les membres de la Beat Generation, lettristes en particulier avec William S. Burroughs et Allen Ginsberg. Il publie avec eux plusieurs fanzines et devient surtout, avec Mary Beach, leur premier traducteur, contribuant ainsi à les faire connaître de ce côté-ci de l’Atlantique.
En 1972, les éditions 10/18 font paraître, directement en poche, Jukeboxes, qui réunit des textes de Pélieu écrits entre 1967 et 1970. Le succès est inattendu : plusieurs milliers d’exemplaires sont vendus, un exploit dans le domaine de la poésie contemporaine. Car il ouvre une voie poétique nouvelle. Avec la fulgurance d’un Antonin Artaud bourré d’amphètes et jeté dans les rues de Manhattan au son du groupe de rock Grateful Dead, il écrit : « Alors ils ont tué, comme pour se prendre au piège, & le Soleil a déchiré l’Herbier Astral, & l’énergie variable du silence, celle de l’Homme Rouge indifférent aux mots. » Claude Pélieu pratique ce qu’il nomme le « script-vite », parent de l’écriture automatique et du cut-up, forme urgente et fragmentée qui mêle prose, journal et pamphlet. Dans ces pages hallucinées, certains motifs se révèlent récurrents, proto-punks plutôt que hippies : le rock, la guerre du Vietnam, le corps mutilé ou le cadavre, la télévision, la CIA, Le Capital, le Ku Klux Klan, etc.
Cette déconstruction de la poésie fait écho au morcellement du réel à l’œuvre dans les collages de Pélieu. Parallèlement à ses grandes compositions très maîtrisées, il aime ainsi exécuter avec rapidité de petits collages qui évoquent, par leur acuité même, le « script-vite » de ses poèmes.
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Claude Pélieu, Jukeboxes, Nantes, Lenka Lente, 2020, 180 pages, 13 euros.