À trois pas de la galerie Véro-Dodat, rue Jean-Jacques Rousseau où il a installé sa première boutique en 1991, Christian Louboutin reçoit dans son bureau dont l’entrée est gardée, sous une grande verrière, par deux sphinx achetés aux États-Unis, ancien décor de cinéma dont il n’a jamais retrouvé l’origine. Au plafond, deux lustres en forme d’étoile des années 1940. Au fond de la pièce, dressée sur ses deux pattes arrière, une gazelle naturalisée (à moins que ce ne soit un animal plus rare) guette aussi les visiteurs. Christian Louboutin aime les objets, mais il n’est pas vraiment collectionneur. Ce n’est pas le goût de la possession qui le guide, plutôt celui des rencontres, avec des objets ou des humains.
l’œuvre choisie, Monologue, est un double autoportrait de l’artiste à la gouache et à la feuille d’or sur papier. l’un présente des taches de peinture rouge,l’autre des taches de sang.
Le goût du détail
Il s’apprête à inaugurer une exposition au Palais de la Porte Dorée, qui portera un regard rétrospectif sur l’ensemble de ses créations, en dialogue avec des œuvres d’artistes qui lui sont proches. Ce lieu, pavillon de l’Exposition universelle de 1937, puis ancien musée des Colonies, il le connaît bien, car il se trouve sur le chemin qu’il empruntait, adolescent, entre l’appartement familial du 12e arrondissement et les deux lycées qu’il a fréquentés. Plus qu’avec les objets qui y étaient alors exposés, il raconte sa familiarité avec les grandes panthères sculptées à l’entrée, avec l’aquarium, avec le musée considéré comme une maison ou un refuge – ce musée-là, pas un autre, car sa famille s’intéressait assez peu à l’art. Son père ébéniste, en revanche, lui a transmis le goût des beaux objets, la souplesse qui consiste à s’adapter aux veines du bois que l’on travaille, l’inclination vers la lune plutôt que vers le soleil. Christian Louboutin dit aimer les petits objets, ceux dont il faut s’approcher pour saisir la profondeur de leurs détails. Il pourrait parler de la même façon de souliers ou de miniatures persanes ! La différence entre l’art et l’artisanat, précise-t-il, lui qui collabore à maintes reprises avec des artisans au Bhoutan ou en Inde, est toujours ténue, et peut même sou-vent rester mystérieuse.
L’objet qu’il a choisi est un diptyque de miniatures réalisées par l’artiste pakistanais Imran Qureshi. C’est d’abord à la Biennale de Venise, en 2009, qu’il a vu des œuvres de lui, près du Ghetto, dans le pavillon de l’Iran, de l’Afghanistan et du Pakistan : de grands tableaux dont il fallait s’approcher pour en percevoir la finesse. Ensuite, il y a eu un rendez-vous manqué à Miami, au moment d’Art Basel, une invitation lancée par Christian Louboutin à Imran Qureshi, dont l’Administration américaine a eu raison pour une histoire de visa. Ils se sont enfin rencontrés, reconnus faudrait-il presque dire, quelques années plus tard, chez le galeriste Thaddaeus Ropac, à Paris. Un dialogue a commencé, au cours duquel Christian Louboutin a dessiné des sandales, inspirées des chappals de Peshawar et qu’il a nommées Imran, en signe d’amitié. Il a également acheté des œuvres de l’artiste.
Ces dernières années, Christian Louboutin a beaucoup parlé de la présence de l’Égypte dans son pay-sage mental, du fait qu’il est peut-être le fils de l’amant égyptien de sa mère. Il a d’ailleurs longtemps pos-sédé un bateau sur le Nil. Il a aussi souvent évoqué les voyages faits en pensée au Palais de la Porte Dorée, baigné par la lecture des Tintin de son enfance. Or, l’Asie du Sud appa-raît fréquemment lorsqu’il évoque ses inspirations, peut-être d’abord parce qu’il a notamment grandi avec des films indiens qu’il voyait dans les cinémas de son enfance. Son premier voyage en Inde remonte à ses 15 ans. Aujourd’hui, il s’y rend régulièrement, ainsi qu’au Bhoutan, pour travailler avec des artisans. L’an dernier, il a même acheté aux enchères le pavillon du Bhoutan réa-lisé pour l’Exposition universelle du millénaire, Expo 2000, à Hanovre.
Le rouge et l’or
L’œuvre choisie, Monologue, est un double autoportrait de l’artiste à la gouache et à la feuille d’or sur papier. L’un présente des taches de peinture rouge, l’autre des taches de sang. Chez Christian Louboutin, le rouge fait évidemment écho à la couleur de ses semelles, un geste improvisé avec le vernis à ongles d’une de ses assistantes, mais un rouge totalement différent, laqué et joyeux. Les deux autoportraits ont un fond d’or, dont les feuilles ne sont pas complètement collées sur le papier et tremblent dans l’air, comme celles que l’on applique sur les Bouddhas de bois en Thaïlande à l’entrée des temples, que Christian Louboutin affectionne particulièrement. C’est lui qui a inspiré cette création à Imran Qureshi. L’œuvre, prêtée pour l’occasion, est accrochée dans la partie de l’exposition qui dévoile le musée imaginaire de Christian Louboutin. Une autre intervention d’Imran Qureshi est visible un peu avant dans le parcours, une paire de souliers masculins qu’il a recouverte de feuilles d’or.
L’exposition de la Porte Dorée témoigne des échanges, nombreux, que Christian Louboutin a eus avec des artistes, comme David Lynch, qui a photographié certaines de ses créations, ou l’artiste maorie Lisa Reihana, qu’il est allé voir en Australie. Elle a fait une biographie de lui en vidéo, racontant sa vie comme un voyage : ce projet est finalement devenu une œuvre intitulée Rêverie. Ce ne sont pas des collaborations à proprement parler, et ce sont un peu plus que des conversations.
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« Christian Louboutin. L’exhibitionniste », 26 février - 3 janvier 2021, Palais de la Porte Dorée, 293, avenue Daumesnil, 75012 Paris.