Séquencé en courts chapitres richement illustrés, l’ouvrage présente une synthèse du parcours d’Anni (1899-1994) et de Josef (1888-1976) Albers, depuis leur rencontre au Bauhaus de Weimar jusqu’à leur installation outre-Atlantique pour fuir l’Allemagne nazie, en passant par leur carrière d’enseignants au mythique Black Mountain College (Asheville, Caroline du Nord). L’occasion de se plonger dans la production, les archives photographiques et les documents de travail de ces créateurs exceptionnels, l’une artiste textile, l’autre peintre et designer, tous deux auteurs d’importants textes théoriques.
L'approche intimiste résonne agréablement avec leur engagement en faveur d’une vie quotidienne embellie par l’art, l’artisanat et le design.
L’historien d’art Nicholas Fox Weber, qui a rencontré le couple dans les années 1970, fait le choix d’une approche intimiste, rythmée d’anecdotes personnelles. Pourquoi pas. Un tel angle résonne agréablement avec leur engagement en faveur d’une vie quotidienne embellie par l’art, l’artisanat et le design. Des sous-chapitres très didactiques – « Les Albers et la psychanalyse », « Collectionneurs » et « Marcel Breuer», par exemple – permettent de contextualiser davantage leur œuvre respective, leurs sources et leur influence.
Parentèle ?
Cependant, une question taraude le lecteur. Pourquoi un ouvrage commun aux deux artistes ? Ils n’ont jamais collaboré l’un avec l’autre, sauf pour leurs cartes de vœux une fois l’an. Ils n’ont jamais écrit à quatre mains. Bien sûr, le fait que Weber soit le directeur de la Josef and Anni Albers Foundation (Bethany, Connecticut) n’est pas étranger à ce choix. Mais le discours sur les couples d’artistes, excepté en cas de processus créatif partagé, se fait souvent aux dépens des femmes et de leur pleine reconnaissance. Comme si, à l’esprit de certains, le seul nom d’une femme ne pouvait suffire à justifier l’édition d’un livre ou l’organisation d’une exposition. En 2016, un colloque, coordonné par l’association AWARE (Archives of Women Artists Research & Exhibitions), avait interrogé cet enjeu sous le titre « Les femmes artistes au risque de la parentèle ».
À la décharge de Weber et des éditions Phaidon toutefois, force est de constater que le retard éditorial concernant l’œuvre remarquable d’Anni Albers est un mal très français – une seule monographie à ce jour, parue à l’occasion d’une rétrospective au musée des Arts décoratifs en 1999. À l’inverse, l’artiste ayant précocement acquis une solide réputation aux États-Unis et en Grande-Bretagne, cette biographie, à l’origine en anglais, y rejoint un nombre déjà important de publications. Alors, puisse qu’en France, cette parution encourage les éditeurs et les musées à remédier à cette carence en tout point désespérante.
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Nicholas Fox Weber, Anni & Josef Albers. Égaux et inégaux, Paris, Phaidon, 2020, 512 pages, 120 euros.