En occupant l’intégralité du Pavillon de verre du Louvre-Lens, Bernar Venet se profile comme un authentique sculpteur de l’espace, se soumettant au double défi de la gravité terrestre et du désordre. Avec cette nouvelle installation monumentale – dans l’esprit de celles déjà expérimentées dans son domaine du Muy (Var) –, l’artiste met le visiteur face à un autre défi, celui de s’y hasarder, d’enjamber les barres d’acier Corten qui y sont disposées, fauchées comme une forêt après une tornade. Si elles ne peuvent basculer plus bas, leur équilibre semble malgré tout cohabiter avec une certaine instabilité, conférant à l’ensemble la puissance paradoxale de la fragilité.
UN AUTHENTIQUE SCULPTEUR DE L’ESPACE, SE SOUMETTANT AU DOUBLE DÉFI DE LA GRAVITÉ TERRESTRE ET DU DÉSORDRE
Car c’est aussi de cela dont il s’agit : rendre tangible l’énergie dégagée par l’acte de l’effondrement. L’artiste y associe les concepts de dispersion et d’antagonisme. « Ici, j’installe un désordre sans trop le contrôler. Beaucoup de choses arrivent par accident dans mon travail. L’acceptation de la gravité en fait partie », confie Bernar Venet. Le vaste hall est bien entendu redevenu silencieux, mais on imagine les puissantes ondes sonores provoquées par la vague déferlante de ces 110 poutres d’acier. Elles donnent l’impression de s’être bousculées, les unes sur les autres, pour trouver leur place. La loi du plus fort semble l’avoir emporté et, des Lignes droites, des Arcs et des Angles, ce sont ces derniers qui paraissent avoir pris le dessus dans cette bataille de lignes. Les Angles aigus reflètent le mieux cet effet de chute, ce processus de gravité, émergeant quelque peu de ce champ sculptural horizontal qui se déploie à travers les 1 000 m2 de la salle – de même que les extrémités de certains Arcs.
Ce champ chaotique ne manque cependant pas d’une certaine cohérence, celle de la couleur rouille des poutres et de leur section identique. Située dans la perspective de la Galerie du Temps, l’installation L’hypothèse de la gravité de Venet ouvre celle-ci à une contemporanéité radicale, remettant littéralement à plat les fondements de la sculpture et plus particulièrement la question du socle. Son absence confère à l’œuvre un impact direct sur son environnement et sur la perception du visiteur qui s’y retrouve en totale immersion.
Déjà visible à travers les parois du Pavillon de verre, la deuxième partie de l’exposition prend place sur les pelouses extérieures. Intitulée Désordre, elle est constituée d’un ensemble de dix groupes composés chacun de cinq à huit Arcs. Le fait d’être dressés et légèrement penchés atténue leur effet de masse parfaitement calibré et les inscrit à l’échelle de leur environnement, ces pelouses qui ont remplacé les anciens carreaux de mines. Monumentalité et intégration au paysage sont les maîtres mots de cette disposition que le visiteur découvre en déambulant dans le parc, avec en toile de fond le vaste écran horizontal des bâtiments conçus par les architectes de l’agence japonaise Sanaa. Les « effondrements » et les « désordres » de Bernar Venet semblent y avoir trouvé un emplacement naturel.
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« Bernar Venet. L’hypothèse de la gravité », Louvre-Lens (Pavillon de verre) et « Désordre », Louvre-Lens (Parc), jusqu’au 10 janvier 2022, 99 rue Paul Bert, 62300 Lens.
À LIRE : Maurice Fréchuret, Bernar Venet, L’hypothèse de la gravité, éditions Skira-Louvre-Lens, 2021, 176 p., 29 euros.