Rue Royale, la galerie Gismondi revient sur scène en beauté. Ses salons réaménagés avec des boiseries et des tableaux Renaissance accueillent une centaine d’œuvres réalisées en marqueterie de pierres dures, toutes plus superbes les unes que les autres. C’est l’une des plus importantes expositions à ce jour sur cette précieuse production. Dans le vestibule, deux paysages conçus à la fin du XVIe siècle à la cour de Rodolphe II, à Prague, rappellent que l’Italie, indissociable de ce type de pièces, n’en avait toutefois pas l’apanage… même si l’empereur du Saint Empire romain germanique s’attache les services d’un artisan florentin de renom, Cosimo Castrucci.
Toutefois, le trophée de l’exposition est sans nul doute un coffret italien du XVIIe siècle par Giovanni Battista Foggini, qui dirigea la manufacture de pietra dura des Médicis à Florence. Pourquoi Florence ? L’Arno y charriait quantité de pierres qui étaient ensuite coupées et polies dans les ateliers de la ville… Comme en témoigne le décor d’un autre coffret présenté à la galerie, Rome disposait aussi de sa propre production, « au style plus géométrique, tandis que celui de Florence se veut plus naturaliste », précise Éric Reymond, directeur de la galerie. Dans une des alcôves du studiolo est suspendu un magnifique saint Sébastien peint sur un fonds en lapis-lazulis entouré d’un cadre d’époque orné de corail. L’artiste du XVIIe siècle Jacques Stella est l’auteur du personnage. Au fil des salles, les précieuses gemmes servent à concevoir de somptueux paysages, le panache de fumée du Vésuve à Naples, le chatoyant ramage d’un oiseau exotique… Au premier étage, des plateaux de tables en pierres dures ont été accrochés aux murs, permettant de les regarder d’une autre manière et non plus comme des ornements de mobilier mais bien comme ce qu’elles sont : des œuvres d’art. La production se poursuivra en partie jusqu’au XIXe siècle. Davantage de précisions sur la technique et les pierres employées auraient été les bienvenues aussi bien dans l’exposition que dans le catalogue.
AURÈCE VETTIER A COLLECTÉ 4 MILLIONS DE PLANCHES À HERBIER SUR INTERNET POUR NOURRIR UNE INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
Les commissaires de l’exposition, Marius Jacob-Gismondi et Alexis de Bernède, ont fait dialoguer ces vénérables trésors avec les créations contemporaines du collectif aurèce vettier (SIC) créé par Paul Mouginot. À cet univers très minéral qui commence place de la Concorde, et se poursuit rue Royale et jusqu’aux œuvres de pietra dura, l’artiste apporte un contrepoint végétal, entre natures mortes anciennes de bouquets de fleurs savamment retravaillés à la photo, branchages en bronze doré, peintures de plantes et bijoux… Les artisans de la pietra dura voulaient reproduire au plus près la nature. aurèce vettier, lui, s’en éloigne. L’artiste a collecté 4 millions de planches à herbier partout dans le monde sur Internet pour nourrir une intelligence artificielle qui a créé des formes absolument impossibles à trouver dans la nature. Ses photos de bouquets de fleurs évanescents reposent eux aussi sur des algorithmes. Tout comme ses peintures de végétaux !
POUR LES PIÈCES EN PIERRES DURES, COMPTEZ ENTRE 12 000 EUROS ET 3,5 MILLIONS D’EUROS
L’artiste, qui évoque aussi bien Thucydide que René Daumal et son livre inachevé Le Mont Analogue, a même conçu un recueil de poèmes via l’intelligence artificielle, truffés de savantes références, « une épiphanie », explique-t-il. Ses œuvres sophistiquées, en phase avec l’engouement pour l’intelligence artificielle, ont fait mouche auprès de collectionneurs et acheteurs souvent issus du monde des NFT et des nouvelles technologies. Les prix s’échelonnent de 1 200 à 15 000 euros. Pour les pièces en pierres dures, comptez bien davantage : entre 12 000 euros et 3,5 millions d’euros. L’exposition, à marquer d’une pierre blanche, sera sans doute prolongée un peu, mais sans les œuvres vendues d’aurèce vettier.
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« Opus Sectile », jusqu’au 19 décembre 2021, Galerie Gismondi, 20 rue Royale, 75008 Paris.