C’est un photographe rare, dans tous les sens du terme, que la Fondation Henri Cartier-Bresson expose cet automne. Ainsi John Coplans (1920-2003) reconnaissait-il : « Les premiers temps, je faisais très peu d’images, pas plus de neuf par an, en moyenne. » Cette singularité se retrouve dans son parcours, pour le moins atypique.
Engagé dans l’armée britannique, il prend part aux combats en Afrique et en Asie, jusqu’en1945. De retour à Londres, il entame des études artistiques et poursuit une carrière de peintre abstrait. Il s’installe ensuite à San Francisco et participe, en1962, à la création de la célèbre revue d’art contemporain Artforum. Quand, cinq ans plus tard, la revue s’établit à New York, il la suit avant d’en diriger la rédaction de 1971 à1977, tout en multipliant commissariats d’expositions et direction d’institutions. John Coplans met un terme à toutes ces activités en1980 pour commencer une nouvelle carrière d’artiste, cette fois comme photographe, à l’âge de 60 ans.
UN SCULPTEUR DE FRAGMENTS
Il semble évident que sa parfaite connaissance de l’histoire de l’art moderne et des arcanes de l’art contemporain lui a permis de cerner rapidement les enjeux et de se concentrer sur l’essentiel : la représentation et la description du corps nu le plus anonyme et le plus proche qui lui soit donné, le sien. Anonyme, d’abord parce que son visage n’apparaît jamais; ensuite parce que le corps se découpe en fragments –des torses, des dos, des pieds, des genoux, des mains; enfin, ce corps semble être l’archétype d’un homme blanc entré dans le dernier quart de sa vie.
Deux références sont particulièrement marquantes. Il y a Constantin Brancusi bien sûr, qui photographiait lui-même ses sculptures et à propos duquel Coplans écrivait : « À la différence de tous les autres photographes […], il fabriquait tout ce qui figure dans l’image, l’environnement, le mode de vie, ainsi que l’art lui-même. » La seconde, c’est Pablo Picasso : « Je suis allé voir les petites choses avec lesquelles Picasso jouait: les serviettes, les morceaux de carton, les petits dessins. Quand je suis rentré, j’ai commencé à jouer avec mes mains de la même façon. J’ai fait sourire ma main et je l’ai photographiée en train de sourire. »
Sa parfaite connaissance de l’histoire de l’art lui a permis de se concentrer sur l’essentiel : la représentation du corps nu le plus anonyme et le plus proche qui lui soit donné, le sien.
On sait combien les rapports entre la sculpture et la photographie peuvent être étroits dans l’art du XXe siècle. C’est bien dans ce champ relationnel qu’opère Coplans, notamment quand, à partir de 1988, ses compositions photographiques juxtaposent les éléments d’un fragment du corps (jambes, bras) pour construire une nouvelle image faite d’une succession d’éléments disjoints, appartenant néanmoins à la même figure. Il s’inscrit ici dans la mouvance du polyptyque photographique, très en vogue à l’époque, aux frontières du volume et de l’image bidimensionnelle, qui compte parmi ses protagonistes Balthasar Burkhard, Jan Dibbets, Gilbert & George, Gordon Matta-Clark et bien d’autres.
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«John Coplans. La vie des formes», 5 octobre 2021-16 janvier 2022, Fondation Henri Cartier-Bresson, 79, rue des Archives, 75003 Paris. (coproduite avec Le Point du jour, à Cherbourg-en-Cotentin, où l’exposition sera présentée du 29 janvier au 15 mai 2022).
À lire : Jean-François Chevrier (dir.), John Coplans. Un corps. Suivi d’une anthologie de textes de John Coplans, Le Point du jour, 240 pages, 22 euros.