Connues au Liban pour leurs chansons satiriques, composées de commentaires acerbes et de détournements sarcastiques – qui leur ont valu censure et exil en France –, les sœurs Michelle et Noel Keserwany dénoncent depuis plus de dix ans la situation sociopolitique dysfonctionnelle de leur pays. Artistes pluridisciplinaires, interprètes, écrivaines et réalisatrices, elles considèrent leurs « vidéos musicales » plus proches du court métrage que du simple clip, et placent le langage au cœur de leur combat : « Le langage permet à la fois de rectifier des déséquilibres tels que l’inégalité et la corruption, et de révéler les codes inhérents à la classe et au statut. » Leur chanson « Mille et une nuits », mise en ligne en septembre 2021, raconte les souffrances du Liban, victime d’un état démissionnaire et de l’explosion du port de Beyrouth, qui ont accentué la pauvreté et le manque de libertés, malgré la révolution d’octobre 2019. En marge de ces compositions satiriques, les deux sœurs préparent leur premier long métrage, À feu doux, un documentaire sociopolitique coproduit par la France et le Liban. Michelle et Noel Keserwany invitent régulièrement des femmes à collaborer à leurs projets afin de libérer leur parole et de faire entendre leurs récits. De cette manière, elles témoignent « du potentiel des pratiques communautaires et collectives à favoriser l’expression de la vulnérabilité comme forme d’autonomisation et d’émancipation ».
Les deux artistes ont choisi Lyon comme cadre d’étude pour Les Chenilles, leur premier film tourné en France, dans lequel elles explorent le lien interdépendant entre force et fragilité qui sous-tend chaque être humain. Suivant deux jeunes Libanaises émigrées dans cette ville, le film montre de quelle manière nos vies sont induites par les événements historiques et comment « les déplacements, les conditions de travail et les traumatismes culturels ou personnels bâtissent notre individualité ». Le spectateur constate au fil du récit que l’histoire se répète, et que le combat d’Asma et Sarah est inconsciemment lié à l’exploitation des femmes dans l’élevage du ver à soie au Liban, des siècles plus tôt. Composée spécialement par le musicien libanais Zeid Hamdan et la chanteuse syrienne Lynn Adib, la bande-son du film est elle aussi une rencontre entre deux personnalités unies par la « survivance au chaos à travers une intense célébration de la vie ».