Depuis bientôt dix ans, les éditions Fage publient dans la collection « Paroles d’artiste » de courtes monographies composées d’une sélection de citations d’un peintre, d’un sculpteur, d’un photographe ou d’un architecte, illustrées d’une trentaine de ses œuvres. Les plus de cent vingt artistes désormais au catalogue, d’Élisabeth Vigée Le Brun à Bruce Nauman, sont aujourd’hui rejoints par Gilles Aillaud (1928-2005).
De l’œuvre de l’artiste, les historiens d’art et le public retiennent surtout les tableaux d’animaux en cage, fauves, phoques et oiseaux exotiques réduits par l’homme à la vie en captivité. Dans ces peintures, Gilles Aillaud s’intéresse avec la même méticulosité à la bête et à son enclos. Scénographe et fils d’un architecte, il se montre en effet particulièrement sensible à ces espaces artificiels, marqués par les modes – la mosaïque, le carreau de céramique, etc. – et dans lesquels sont piteusement introduits des éléments de « nature », un bassin, des branches, des banquises miniatures. Ce motif du zoo, apparu au cours des années 1960 et auquel il se consacre presque exclusivement la décennie suivante, est moins une réflexion sur la condition humaine que l’image du « sort que la pensée fait subir à la pensée dans notre civilisation ».
Le récit au cœur de son art
Pourtant, réduire le travail de Gilles Aillaud à ces animaux encagés – aussi intéressants soient-ils – revient à délaisser des pans entiers de sa création. Dès la fin des années 1950, il expose au Salon de la jeune peinture, laboratoire d’expérimentation dont il devient le président, et prend une part active à la théorisation et à l’élaboration de la figuration narrative, aux côtés notamment d’Eduardo Arroyo. L’importance du récit mais aussi, selon son expression, d’une participation « au dévoilement historique de la vérité » forment le terreau de sa peinture, à l’exemple de ses œuvres politiques sur la guerre du Vietnam (Vietnam. La bataille du riz, 1968) ou la catastrophe minière de Fouquières-lez-Lens (série Réalité quotidienne des travailleurs de la mine, 1971).
Au tournant des années 1980, Gilles Aillaud se consacre à « l’invisible », des paysages vides de présence humaine, inspirés par des séjours en Grèce ou en Bretagne : « Entre la montagne et le vent, entre le roc et l’air, qu’y a-t-il ? Là et là seulement pourrait se tenir quelque chose d’original, qui vaudrait la peine d’être fait, parce que tenant l’un de l’autre, sans être ni l’un ni l’autre. »
Volontairement succinct, ce volume – là est sa réussite – suscite le désir de lire in extenso les nombreux textes écrits par Gilles Aillaud (recueils poétiques, articles théoriques ou polémiques, entretiens, etc.), publiés çà et là depuis les années 1960 et qui nécessiteraient, de fait, une édition critique.