Depuis l’organisation, en 2016, de la COP 22 à Marrakech, la question du réchauffement climatique et de ses impacts sur l’environnement est devenue une préoccupation majeure au Maroc. Les menaces qui pèsent sur les oasis, écosystèmes reposant sur l’équilibre entre l’eau, la terre et la culture des palmiers dattiers, sont aujourd’hui documentées par de nombreux photographes. « Depuis une vingtaine d’années, commente ainsi M’hammed Kilito, l’un des quatre lauréats du concours « Talents contemporains » de la Fondation François Schneider pour l’année 2022, cet équilibre n’existe plus, et ces îlots de verdure au milieu du désert subissent les impacts des activités humaines destructrices et du changement climatique. » Son projet multidisciplinaire Before it’s gone, fruit de plusieurs voyages dans ces régions arides et semi-arides du Sud marocain, illustre, à travers des cadrages resserrés, la dévastation en cours.
PROBLÉMATIQUES TERRITORIALES
Même son de cloche chez son compagnon de route Seif Kousmate, membre comme lui de KOZ Collective, qui pointe de son côté la diversité des problématiques territoriales. « Chaque région a ses spécificités : dans la vallée du Drâa (proche de Ouarzazate), le problème est celui de la raréfaction de l’eau due à la présence de barrages. L’oasis de Tighmert doit faire face à l’exode de la jeunesse et aux incendies. La région de M’Hamid est confrontée à la désertification. »
Figurant parmi les dix nominés pour le prix Découverte Louis
Roederer 2022, décerné lors des Rencontres photographiques d’Arles, Seif Kousmate prend appui, dans sa série Waha (Oasis), sur ces différents périls pour renouveler sa pratique photographique, à travers plusieurs expérimentations. Certains tirages sont accompagnés de matériaux collectés durant ses séjours dans les oasis : terre, morceaux de dattes séchées ou de palmier, poèmes d’habitants, à l’image de celui de Brahim Raji intitulé « Les racines des palmiers sont en train de pleurer sous terre ». Par analogie avec le danger que représentent les nombreux incendies qui se déclarent dans les oasis chaque été, l’artiste utilise tour à tour un chalumeau pour brûler partiellement ses tirages et de l’acide pour produire un effet d’érosion. « Après avoir mis de l’acide sur mes tirages, je photographie parfois par-dessus, comme pour arrêter la dégradation en cours », commente-t-il.
Montré en partie à Rabat, dans le cadre de l’exposition « Les Palmiers fatigués » (du 24 mars au 4 juillet 2022), ce travail témoigne de préoccupations dépassant les frontières. Cette manifestation conçue par le commissaire d’exposition autrichien Markus Waitschacher et présentée au Cube – independent art room faisait dialoguer des œuvres d’artistes autrichiens et marocains s’interrogeant sur la vogue en Europe de plantes exotiques. Ainsi, par exemple, du bananier ou, avec Ghita Skali, de l’invasion d’antennes paraboliques arborant la forme de palmiers !
UN LABORATOIRE DE RECHERCHE
En matière de protection des oasis, la palme revient néanmoins au projet Caravane Tighmert, lancé en 2015 par l’architecte Carlos Pérez Marín avec deux habitants de l’oasis, Bouchra Boudali et Ahmed Dabah. L’objectif initial était de venir en aide à une population victime d’inondations dramatiques. Chaque année est ainsi organisé au cœur de l’oasis de Tighmert un festival auquel participent des artistes de renom. Mohamed Arejdal, M’barek Bouhchichi ou Ymane Fakhir, notamment, sont venus y proposer différents ateliers et ressourcer leurs projets respectifs. « On ne peut pas comprendre le Maroc d’aujourd’hui, explique Carlos Pérez Marín, si l’on ne comprend pas le désert. Les principales dynasties du Maroc viennent du désert. »
Au gré des éditions successives, le festival s’est transformé en un véritable laboratoire de recherche sur les différentes thématiques liées aux oasis et aux traces des anciennes routes caravanières : l’eau, le nomadisme, l’architecture, le mode de vie ou encore les pratiques culturelles. Retenu pour l’édition 2022, le photographe Mehdi Sefrioui reconnaît –à l’instar de M’hammed Kilito, dont la participation en 2020 s’est avérée déterminante pour le projet qu’il mène aujourd’hui (Before
it’s gone) – avoir été bouleversé par cette expérience. « On se rend rapidement compte que nos idées de départ sont déconnectées de la réalité. Je venais travailler sur un projet lié à la mythologie amazighe [berbère], et j’ai compris que j’avais affaire à une tribu hassanie, arabe. » Mehdi Sefrioui s’est donc intéressé à une danse typique de la région, la Guedra, que Carlos Pérez Marín assimile à une « histoire orale de la tribu ».
Fort du succès de ses éditions précédentes, et bien que leur organisation ne bénéficie d’aucune subvention, Caravane Tighmert, présent avec Le 18 (Marrakech) à la Documenta 15 de Cassel (jusqu’au 25 septembre 2022), a récemment lancé deux nouveaux projets : Caravane Ouadane en Mauritanie (du 5 au 20 novembre 2022) et Qafila Khamisa, qui suit les routes caravanières. L’oasis, un patrimoine matériel et immatériel à sauver… et qui reste à découvrir !