L’agence gouvernementale française Afalula, chargée de développer la région d’AlUla en Arabie saoudite, pilote un vaste ensemble de projets artistiques dans cette région du nord-ouest du pays. Dernier en date, le Centre Pompidou va superviser un futur musée dans la région d’AlUla, en Arabie saoudite, selon le journal Le Monde. Des conservateurs de Beaubourg apporteront leur expertise à une nouvelle institution qui portera le nom de Perspective Galleries, conçue par l’architecte libanaise Lina Ghotmeh. La signature avec les autorités saoudiennes devrait intervenir dans les jours qui viennent. À l’heure où nous écrivons ces lignes, les représentants du Centre Pompidou n’ont pas répondu à nos demandes d’interviews.
Cet avant-poste saoudien sera la dernière antenne en date au sein du réseau international de satellites lancé par le Centre Pompidou, après Metz, Shanghai en Chine, et Malaga en Espagne, mais aussi après ceux en chantier de Bruxelles en Belgique et de Jersey City aux États-Unis.
L’agence Afalula, fondée à Paris en juillet 2018, est le fruit d’un accord intergouvernemental signé par la France et l’Arabie saoudite. Elle travaille en partenariat avec la Commission royale pour AlUla (RCU), l’organe culturel du gouvernement saoudien piloté par le dirigeant de facto du pays, le prince héritier Mohammed ben Salmane.
« La volonté conjointe de l’Arabie saoudite et de la France est de mettre en œuvre un modèle nouveau de développement économique et touristique, centré sur la préservation absolue de l’environnement, respectueux de l’histoire, des territoires et de la population locale, au service d’une expérience touristique authentique, fidèle à l’hospitalité du monde arabe », déclare Gérard Mestrallet, président exécutif d’Afalula, sur le site Internet de l’agence Afalula.
Selon un critique français, sous couvert de l’anonymat, « le partenariat franco-saoudien s’inscrit dans une démarche de promotion des références culturelles de l’Arabie saoudite, contribuant à diversifier l’économie et à donner une image plus "ouverte" du pays, conformément au plan Vision 2030 du gouvernement. »
Au cours du dernier programme de résidence mis en œuvre sur place, six artistes ont passé douze semaines dans une maison d’hôtes et une palmeraie à AlUla à la fin de 2022. Parmi eux figuraient Augustine Paredes, une artiste philippine basée aux Émirats arabes unis, la Française Sabine Mirlesse, l’universitaire et poète émiratie Afra Atiq et deux artistes saoudiens, Mohammad Alfaraj et Daniah Alsaleh.
« J’effectuais des recherches sur la poétique de l’agriculture en me concentrant sur la douleur d’un palmier, explique Augustine Paredes à The Art Newspaper. J’ai passé du temps à AlUla à discuter avec les scientifiques et les chercheurs qui y sont basés, j’ai observé la vie à la ferme et les agriculteurs, tout en renouant avec mes racines en tant qu’enfant d’agriculteurs aux Philippines. »
Sabine Mirlesse a développé un objet divinatoire qui retrace les pratiques des premiers Arabes, tandis qu’Afra Atiq a présenté un cycle poétique en deux parties inspiré par le wādi (vallée) et le samā' (ciel). « Chaque [artiste] a, à sa manière, rendu hommage aux marques que le passé a laissées sur le paysage, la ville et sa société, et parfois à l’absence intrigante de traces et, par conséquent, de récits », indique un communiqué des commissaires. Une autre session de résidences a été lancée en janvier 2023. Une exposition présentant les œuvres des deux programmes devrait être inaugurée lors du AlUla Arts Festival, qui débute le 16 février.
« L’ambition est également de relier progressivement le programme de résidences d’artistes d’AlUla aux atouts culturels du plan directeur Journey Through Time, et d’explorer les résidences thématiques comme autant d’actes multiples de préfiguration, tels que l’agriculture, la botanique et le parfum, les chevaux arabes, les arts du paysage, le design et l’architecture », explique un porte-parole de l’agence Afalula.
Le plan directeur Journey Through Time est centré sur la vieille ville d’AlUla et l’oasis culturelle, où des recherches archéologiques, anthropologiques, botaniques et génétiques sont menées sur l’architecture ancienne, l’agriculture et les ressources en eau.
« L’ambition [du programme de résidences d’artistes] est double : créer un dialogue qui transcende la géopolitique et les différences culturelles, et voir ce qui se passe quand on invite quelqu’un d’extérieur dans cet environnement riche », déclare Iwona Blazwick, présidente du comité d’experts en art public de l’UCR. L’année dernière, l’ancienne directrice de la Whitechapel Art Gallery à Londres s’est défendue d’avoir accepté ce nouveau poste alors que l’Arabie saoudite présente un bilan préoccupant en matière de droits de l’homme. « Je préfère m’engager là où je peux contribuer à la liberté d’expression, à l’épanouissement de l’art, car je crois que l’art change la société, a-t-elle affirmé. C’est un élément fondamental de ma personnalité. Et c’est un élément fondamental de mon soutien aux femmes tout au long de ma carrière. » Dans le pays, les plateformes qui ont vu le jour, des biennales aux initiatives patrimoniales, ont donné aux artistes saoudiens une plus grande visibilité, attirant dans le royaume des personnalités internationales désireuses de découvrir le riche tissu d’excellentes femmes artistes qui y travaillent. Un curateur du Moyen-Orient, qui estime que l’Arabie saoudite évolue rapidement par rapport aux États voisins, affirme que les artistes saoudiens ne sont pas libres, mais « qu’ils sont plus libres ».
En janvier 2023, Sophie Makariou, l’ancienne présidente du musée national des arts asiatiques - Guimet, à Paris, a été nommée directrice scientifique responsable de la division culture et patrimoine (archéologie, art contemporain et musées) d’Afalula. Elle remplace Jean-François Charnier, qui a quitté ses fonctions en septembre 2022.
Un jour seulement après l’annonce par les autorités turques de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi dans le consulat saoudien d’Istanbul le 7 octobre 2018, le président Emmanuel Macron avait publié un décret confirmant officiellement la participation de la France au développement culturel de la province d’AlUla. Le budget du projet commun s’élèverait à au moins 20 milliards de dollars.
Gareth Harris vient de publier en anglais le livre Censored Art Today (éd. Lund Humphries) qui traite plus en détail de la situation sociopolitique en Arabie saoudite.