À quand remonte votre rencontre avec la photographie ? Quelles sont vos relations avec elle ?
En réalité, Bruno et moi sommes plutôt connus pour avoir exposé, au milieu des années 1990, des artistes californiens à Paris. Nous séjournions à Los Angeles une bonne partie de l’année et nous nous sommes naturellement intéressés à la scène Angeline. Nous avons découvert une scène artistique en pleine ébullition, libre, métissée, pointue, sans être écrasée par le poids de l’histoire. Nos recherches se tournaient plutôt vers la peinture, le dessin ou la sculpture, peu vers la photographie.
Le premier déclic s’est produit avec le Californien Jim Shaw avec qui nous allons fêter nos 25 ans de collaboration. Jim est célèbre partout dans le monde pour sa peinture, ses dessins ou ses performances. Il a pourtant commencé par la photo avec un autre artiste, Mike Kelley. J’ai découvert cette partie de son travail tout à fait par hasard lors d’une première visite chez lui, dans sa maison-atelier de Los Angeles. Au dernier étage, je tombe sur un foutraque sans nom : il y en avait partout ! Les tiroirs débordaient de tous les côtés d’objets en tout genre… J’ai été intrigué par un cliché qui dépassait. Je m’approche et découvre des dizaines d’autoportraits et de portraits d’amis, toujours révélés par ce regard si singulier, si particulier de Jim. Et là, grâce à lui, nous avons commencé à nous passionner pour la photographie. Avec une propension pour le noir et blanc. Ce dernier révèle profondément la qualité d’un photographe. Il demande une maîtrise parfaite de la lumière. Il faut jouer sur les fonds, sur la densité des tirages et des épreuves.
Une autre rencontre fondamentale a été avec le collectionneur et historien d’art Christian Bouqueret, véritable amoureux de la photographie. Nous avons eu le bonheur d’être amis avec lui. Il avait un œil absolument exceptionnel. Précurseur, il a constitué une collection incroyable, sensible, intimiste, profondément humaine. Nous avons eu enfin la chance de nous lier avec deux galeristes, Hugues Autexier et François Braunschweig. Fondateurs de la galerie Texbraun, en 1980, ils ont organisé les premières expositions à Paris de Robert Mappelthorpe, Joel-Peter Witkin ou Pierre et Gilles. La photographie était leur sacerdoce, leur métier, leur passion. Malheureusement, ils ont été des victimes directes ou collatérales du Sida en 1986.
Avez-vous suivi des critères pour constituer votre collection ?
Nous détestons les cadres et les carcans. L’important, c’est d’essayer d’être cohérent avec soi-même : est-ce que la photo a du sens ? Est-ce que l’acquérir signifie quelque chose pour moi ? Nous aidons nos envies, nous les accompagnons. Au départ, il n’est pas question de collection, ce sont des achats successifs qui ont fini par former un ensemble. Il n’y a pas d’intention préalable, ni personnelle et encore moins professionnelle. Nous n’avons pas d’a priori. Ce qui me plaît dans l’idée de réunir des œuvres, c’est d’apprendre, d’aller chercher quelque chose. J’ai envie d’aller fouiller, comme dans le tiroir de Jim Shaw, d’entrer dans l’univers du photographe. Nous avons aimé être, en quelque sorte, des explorateurs de talent. Beaucoup d’œuvres viennent de salons auxquels nous avons participé : la FIAC, l'’Armory Show, Frieze. Mon grand bonheur était de fuir notre stand pour aller voir ce qui se passait chez le voisin. Je n’ai pas de savoir académique mais une curiosité issue peut être de mon ancien métier de journaliste. Notre collection s’est construite autour d’un opportunisme raisonné, de rencontres inattendues, de coups de cœur, d’émotions partagées. Ce qui est important, c’est de ressentir ce que la photographie donne à voir.
Comment s’est faite la sélection pour cette vente ?
Elle s’est faite naturellement, mais pendant des mois, des semaines et surtout des nuits ! Pour réunir cet ensemble, il a fallu retrouver les œuvres souvent très bien cachées dans une commode, un garde-meuble, notre maison à la campagne. Cela a été un bonheur de redécouvrir une pièce oubliée renvoyant à une anecdote, un événement ou un souvenir. Cette vente, je l’espère, sera l’occasion pour nous de repartir avec un œil neuf et de recommencer une autre aventure. Nous ne renions rien, nous défendons notre bon et notre mauvais goût. L’art est libre de parcours. On fait peau neuve et on recommence. Notre sélection est large, nous ne nous sommes pas fixés sur une période, ni sur un courant. Elle dégage, nous l’espérons en toute modestie, un esprit.
Quels sont vos coups de cœur dans cette vente ?
Ils sont nombreux… Nous aimons le côté « fétiche » de Pierre Molinier, sa proximité avec Hans Bellmer qui, par ailleurs, nous passionne. Matthias Ehrrmann est un artiste encore peu connu du public. Le cofondateur du collectif General Idea, AA Bronson, le considère pourtant comme un des plus grands photographes contemporains. Une des pièces phare de la vente est sans doute le somptueux portrait Zamile, Kwa Thema de l’artiste sud-africaine Zanele Muholi. La Maison européenne de la photographie (MEP), à Paris, lui consacre une grande rétrospective en ce moment. Paolo Titolo Castro a une histoire incroyable : il est Italien d’origine, résident à La Havane, mari de la nièce de Fidel Castro, très investi dans la défense des LGBTQA+. Il a réussi par son travail artistique à mobiliser des dirigeants cubains pour qui cette cause était loin d’être prioritaire… Enfin, nous avons eu des coups de foudre pour les Américains Nan Goldin, Robert Mapplethorpe, Ed Rusha ou John Baldessari. Nous adorons le travail raffiné, le militantisme silencieux et violent de l’autrichienne Maria Hahnenkamp ou l’équilibre fragile de l’israélien Adi Nes. Tous les achats naissent d’une émotion.
Peut-on suivre un fil rouge dans votre sélection ?
Oui, sans, je l’espère, qu’il soit trop épais. Je crois que dans notre collection les œuvres se parlent, elles ne s’opposent pas. Elles se rencontrent, elles se complètent. Malheureusement, elles dormaient un peu, c’était dommage. La seule façon de les faire vivre à nouveau, c’était d’organiser une vente. Montrer notre petit tour de piste, c’est un vrai plaisir. Vendre, c’est aussi autoriser l’œuvre à partir, à entrer dans une autre histoire et à résonner de manière différente avec les autres pièces qu’elle va rejoindre, dans une autre collection.
« Photographie, collection Praz-Delavallade », 15 février 2023, Piasa, 118, rue du Faubourg Saint Honoré, 75008 Paris.