« Cette candidature au label Capitale européenne de la culture, c’est exactement ce qu’il nous fallait. Il nous manquait cette brique culturelle pour faire ce saut qualitatif, créé une synergie participative ». Pierre Savreux, vice-président d’Amiens Métropole en charge de la Culture et du Patrimoine, résume en ces termes les enjeux qui attendent sa ville et la région. « Nous voulons réconcilier la population [locale, ndlr] avec l’Europe », ajoute-t-il, « mais aussi redonner sa fierté au territoire, impliquer toute la vallée de la Somme. Plus qu’une transition, il s’agit d’une transformation, passer de l’économie industrielle à une économie de création ».
Florence et Daniel Guerlain se sont spontanément proposés pour apporter leur pierre à l’édifice : « Notre famille est originaire d’Abbeville, il y a même une rue Guerlain au Crotoy, souligne Daniel Guerlain. Nous sommes vraiment très attachés à la région, nous voulons participer activement à l’élection de la ville et à son renouveau ! ». Le couple de collectionneurs et mécènes – ils décernent chaque année, en mars pendant le Salon du Dessin, le Prix de dessin de la Fondation d’art contemporain Daniel et Florence Guerlain – est depuis 2008 président du Frac Picardie.
Son directeur, Pascal Neveux, rappelle que l’établissement possède d’ailleurs « l’une des plus importantes collections de dessin contemporains en Europe, riche de 1 400 œuvres. La candidature va permettre de nous donner les moyens d’installer vraiment cette collection pour qu’elle puisse partir à la rencontre du public. Nous voulons être les candidats de la proximité ». Florence et Daniel Guerlain, qui ont eux-mêmes accordé en 2013 une donation de 1 200 dessins de leur collection au Musée d’art moderne – Centre Georges Pompidou à Paris, ne peuvent qu’être sensibles au positionnement d’Amiens et à sa candidature....
Le projet, baptisé « Alter-native », est piloté par Sébastien Auchart par ailleurs directeur de l’Action culturelle et du Patrimoine d’Amiens Métropole. Il souligne le potentiel de la région : sa richesse archéologique, notamment à travers ses sites préhistoriques ; son passé architectural gothique – la cathédrale d’Amiens est la plus vaste de France – ; et, plus proche de nous, ses nombreuses reconstructions d’après-guerre dont on comprend aujourd’hui toute l’importance symbolique et historique.
« Alter-native » s’articule autour de deux pôles principaux : le premier concerne la ville d’Amiens avec la création d’un Pôle d’Image et de Création (PIC) sur l’ancien centre de tri postal. Le bâtiment et ses quelques 10 000 m2 seront réaménagés par l’architecte et paysagiste Alexandre Chemetov. Celui-ci prévoit plusieurs plateaux ouverts sur des jardins où s’installeront le Frac Picardie (qui déménage pour l’occasion), le pôle BD Haut de France avec l’association « On a marché sur la bulle » et l’école supérieure d’art et de design, ESAD-Waide Somme.
Ce « pôle total des arts visuels » fera de la ville une nouvelle capitale du dessin et de l’image, une ville « verte et bleue » qui permettra, toujours selon Sébastien Auchart, de « travailler l’attractivité touristique de la région et développer l’enseignement, les propositions de formations pour ses quelques 35 000 étudiants ».
Le second pôle engage cette fois la Somme et sa vallée avec seize projets artistiques ou culturels destinés à « réveiller les audaces d’un territoire de manufactures et d’artisanat ». Les 245 km de berges deviendront, selon le directeur d’Amiens Métropole, la « vallée de l’esthétique des images » avec notamment l’habillage par des plasticiens ou des artisans d’art des 52 ponts qui ponctuent le fleuve.
Le budget global du projet est estimé à 120 millions d’euros : 45 % sera à la charge de de la ville. L’État, le Département, la Région et un mécénat (à hauteur de 5 %) compléteront l’autre partie. Pierre Savreux précise que « 70 millions ont déjà été investis et seront utilisés quoiqu’il arrive ». Parmi les toutes premières réalisations figure la création, par l’auteur et dessinateur belge François Schuiten, d’une monumentale sculpture en bronze en forme de pieuvre géante baptisée Kraken. Même si la ville d’Amiens n’est pas, dans l’imaginaire collectif, synonyme d’aventures sous-marines, elle entend bien rappeler que Jules Verne a écrit, entre ses murs, l’essentiel de son œuvre.
Pour les lauréats, le label « Capitale Européenne de la culture », créé en 1985, n’a donc rien d’anecdotique : il permet en effet d’amorcer une véritable campagne de développement, qui résonne autant sur le territoire national qu’auprès des autres pays européens. En France, en plus d’Amiens, les villes de Bastia, Bourges, Clermont-Ferrand, Montpellier, Nice, Reims, Rouen, Roubaix et Saint-Denis sont en compétition. Le 28 février, à l’issue d’un oral de présentation de 45 minutes pour chaque candidat, un jury de spécialistes culturels européens choisira les trois villes finalistes. Leur décision sera officiellement annoncée le 2 mars. Le nom de la prochaine Capitale européenne de la Culture sera, lui, dévoilé en décembre 2023.