Après deux années de fermetures et d’incertitude, de réduction du personnel et d’agitation publique, 2022 a été l’année où les visiteurs ont pu revenir voir leurs œuvres d’art préférées ou voyager sans trop de restrictions. Résultat : les 100 premiers musées d’art de notre enquête ont accueilli 141 millions de visiteurs.
La situation est-elle pour autant redevenue normale ? Pas tout à fait. Ces 141 millions représentent le double du nombre enregistré en 2021, et près de trois fois celui de 2020. Mais il reste encore du chemin à parcourir avant de retrouver les 230 millions de visites de 2019, dernière année complète avant la pandémie.
Et, comme le révèle notre enquête, la reprise est inégale suivant les pays. La stratégie zéro Covid de la Chine a obligé les visiteurs de ses musées à composer avec des fermetures régulières et des règles sanitaires draconiennes. Les musées russes ont été impactés par le fait que le pays a été mis au ban de la scène internationale après le lancement de son invasion de l’Ukraine. Conséquence : le tourisme à destination et en provenance de nombreuses nations a été restreint. Le nombre de visiteurs des musées en Russie a été similaire à celui de 2021, dans le meilleur des cas.
Ailleurs, certains grands musées ont fortement rebondi. Le musée du Louvre à Paris a restreint le nombre des personnes présentes en même temps dans les salles pour favoriser le confort de visite, mais il est tout de même arrivé en tête de notre enquête avec un nombre extraordinaire de 7,7 millions de visiteurs en 2022, devançant de plus de 2,5 millions les Musées du Vatican, qui occupent la 2e place. Le British Museum et la Tate Modern à Londres reprennent leur place dans notre top 5, mais leur redressement a été plus lent que celui de certaines des autres institutions internationales, reflétant la difficile reprise des musées britanniques dans leur ensemble.
Les dix premiers musées ont représenté à eux seuls près de 40 millions de visites. Aujourd’hui que la pandémie est en grande partie derrière nous, les gens semblent retourner dans les mêmes villes qu’auparavant : Paris et Londres, Rome et New York. Malgré tous les efforts déployés pour inciter le public national à retourner dans les musées, que ce soit virtuellement ou physiquement, les gens ont semblé impatients de voyager pour voir la Joconde, les marbres du Parthénon et le Laocoon. Ces icônes continuent d’attirer les foules.
La reprise a été relativement lente dans les grands musées londoniens. Cette situation se retrouve dans le reste du Royaume-Uni. La National Gallery de Londres a été l’institution la plus affectée de notre enquête, perdant près de 3,3 millions de visiteurs en 2022 par rapport à 2019, la dernière année avant le Covid-19. En termes de pourcentage, cependant, trois autres institutions britanniques ont fait pire : Kettle’s Yard à Cambridge a perdu 57 % de ses visiteurs en 2019, tandis que la fréquentation du V & A Dundee et de la Wellcome Collection à Londres ont toutes deux baissé de 55 %.
Parmi les grands musées new-yorkais, c’est le Solomon R. Guggenheim Museum qui enregistre la plus forte baisse de visiteurs en pourcentage, soit 42 % (avec 750 000 en 2022 contre 1,3 million en 2019), tandis que le Metropolitan Museum of Art (Met) connaît la plus importante chute en nombre, avec 1,7 million de visiteurs en moins par rapport à 2019 (soit une baisse de 34 %). Il convient de noter que le Met a changé sa méthodologie de comptage, introduisant « un nouveau programme numérique que nous pensons être plus précis », a déclaré un porte-parole, ce qui entraîne une baisse de 20 % des chiffres précédemment déclarés en 2019.
New York n’a pas été la seule ville à se redresser lentement, les institutions à travers le pays ayant encore considérablement été affectées par rapport à 2019, du National Museum of African American History and Culture à Washington (en baisse de 45 %) au Denver Art Museum (baisse de 34 %) et au Getty Center à Los Angeles (baisse de 31 %).
Bien qu’il n’y ait pas eu de fermeture généralisée aux États-Unis en 2022, les répercussions de la pandémie ont tout de même touché de nombreux musées. Un porte-parole de la National Portrait Gallery (NPG) de Washington (qui partage un bâtiment avec le Smithsonian American Art Museum (SAAM) et présente donc les mêmes chiffres), indique qu’elle n’a retrouvé ses horaires d’ouverture sept jours par semaine qu’à la fin du mois de mai 2022, après n’avoir été ouverte que quatre jours par semaine pendant le premier trimestre de l’année. Bien qu’ils aient presque triplé leur chiffre de 2021, avec 954 000 visiteurs l’année dernière, le NPG et le SAAM ont tout de même enregistré une baisse de 44 % par rapport aux niveaux d’avant la pandémie.
Cependant, une poignée d’institutions ont déclaré des chiffres qui ont dépassé leurs niveaux d’avant la pandémie. Deux d’entre elles, la Huntington Library, Art Museum and Botanical Gardens à Los Angeles (en hausse de 26 %) et le Frederik Meijer Gardens & Sculpture Park à Grand Rapids (en hausse de 3 %), proposent des manifestations en plein air. Le Museum of Modern Art de New York a également augmenté de 10 % sa fréquentation, mais, en 2019, il avait été fermé pendant quatre mois pour des travaux de rénovation.
En Europe, le bilan est mitigé. Si certains grands établissements ont connu une lente reprise, comme les Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique à Bruxelles (baisse de 40 % par rapport à 2019), le Neues Museum de Berlin (baisse de 36 %), le Rijksmuseum d’Amsterdam (baisse de 35 %) et le Museo Archeologico Nazionale de Naples (baisse de 34 %), dans l’ensemble, les visiteurs semblent revenir dans les musées.
La baisse du tourisme étranger a eu un impact dans de nombreuses villes – l’Albertina de Vienne estime que la baisse d’un quart du nombre de touristes dans la capitale autrichienne est l’un des facteurs importants expliquant la baisse du nombre de visiteurs de 26 % par rapport à 2019. Cependant, d’autres villes touristiques sont presque revenues à la normale – par exemple, le musée d’Orsay à Paris, a enregistré une baisse de 10 % de son chiffre par rapport à 2019, tandis que le Petit Palais était en hausse de 14 %. Mais certains lieux ont des augmentations significatives. À Paris, la Fondation Louis-Vuitton a vu ses chiffres augmenter d’un tiers, passant d’un peu plus de 1 million en 2019 à près de 1,4 million en 2022, grâce à sa grande exposition de la collection Morozov, qui a attiré 1,2 million de visiteurs. L’exposition « Dans l’Atelier rouge de Matisse : les secrets d’un chef-d’œuvre » a permis à la Galerie nationale du Danemark à Copenhague d’atteindre son plus haut niveau de fréquentation, en accueillant plus de 492 000 visiteurs, tandis que le Musée des beaux-arts de Budapest a connu une augmentation de 47 % par rapport à 2019, aidé par son blockbuster sur Jérôme Bosch, la deuxième exposition la plus populaire de l’histoire du musée.
Un autre moyen d’augmenter la fréquentation est de s’agrandir. Le Kunsthaus Zürich a ouvert une nouvelle extension en octobre 2021, ce qui lui a permis de doubler son nombre de visiteurs de 2019, avec plus de 555 000 entrées. Le Munchmuseet d’Oslo, qui a emménagé dans un nouveau bâtiment à l’automne 2021, a accueilli près de 852 000 personnes en 2022, obtenant « un nombre de visiteurs nettement supérieur à celui de l’ancien musée », selon un porte-parole.
Plusieurs institutions, telles que le Centro Botín de Santander en Espagne et la Galleria dell’Accademia de Florence en Italie – qui conserve le David de Michel-Ange – ont fait état d’une reprise de la fréquentation au cours des derniers mois de l’année 2022, dépassant les niveaux antérieurs à la pandémie.
La stratégie zéro Covid de la Chine a eu un impact considérable sur le nombre de visiteurs de ses musées en 2022 et aussi de ceux de ses voisins. Bien que Taïwan ait renoncé à sa politique zéro Covid en mars 2022, le nombre de visiteurs du Musée national du Palais à Taïpei est resté faible en raison de l’absence persistante des touristes chinois. Le total de 553 000 visiteurs n’a augmenté que de 33 % par rapport à l’année précédente, et représente une baisse de 86 % par rapport au total de près de 4 millions de visiteurs en 2019. Un musée chinois a été à contre-courant de la tendance : le M+. Le nouveau musée de Hongkong a ouvert ses portes en novembre 2021, avant de devoir fermer à nouveau du 5 janvier au 21 avril 2022 en raison des restrictions sanitaires. Malgré cela, il a réussi à attirer plus de 2 millions de visiteurs le reste de l’année, se hissant ainsi dans notre Top 20.
L’Australie et la Nouvelle-Zélande ont adopté des règles parmi les plus strictes pour lutter contre le Covid-19, ce qui a retardé leur réouverture par rapport à d’autres parties du monde. En Australie, les règles étaient complexes et variaient d’un État à l’autre ; le pays n’a accepté à nouveau les voyageurs internationaux que le 21 février 2022. Malgré cela, le nombre de visiteurs a continué à retrouver régulièrement son niveau, de nombreux sites enregistrant environ les deux tiers de leur fréquentation antérieure. La Art Gallery of South Australia, à Adélaïde, a même fait mieux qu’en 2021.
La Corée du Sud s’est distinguée en Asie. La foire d’art Frieze s’est tenue pour la première fois en 2022 à Séoul, sa capitale, ce qui a dopé le nombre de visiteurs dans les musées de la ville. Le Musée national de Corée a consolidé sa position dans notre liste : ses 3,4 millions de visiteurs lui ont valu la 5e place. Elle a enregistré à peu près le même nombre de visiteurs qu’avant le Covid. Les quatre sites du Musée national d’art moderne et contemporain ont également obtenu de bons résultats, l’espace de Séoul ayant reçu 1,8 million de visites, soit 400 000 de plus qu’en 2019.
La plupart des fermetures étant, espérons-le, derrière nous, le nombre de visiteurs en 2023 devrait être encore plus élevé. Mais alors que certains musées reprennent leur rythme de croisière, pour d’autres, il semble que les dommages causés par la pandémie et les réponses politiques à la crise soient plus durables.