Parus entre octobre 1962 et avril 1975, les quarante-six numéros que compte la revue iris.time unlimited, publiée par l’effervescente galerie parisienne Iris Clert, étaient distribués à l’occasion d’expositions monographiques ou de « micro-salons » mémorables. Ils sont ici regroupés en fac-similé dans un sobre ouvrage du même nom, aux éditions Semiose. La publication s’accompagne d’un texte très documenté du critique d’art Clément Dirié, par ailleurs auteur de la monographie Iris Clert. L’astre ambigu de l’avant-garde (Hermann, 2021).
C’est au milieu des années 1950, et sur un coup de tête, qu’Iris Clert (1918-1986) choisit sa destinée. Au cours d’une visite à son atelier, le sculpteur Takis (1925-2019) parvient à convaincre la jeune femme grecque de devenir galeriste, tant son regard sur les œuvres est aiguisé et tant, par son allure et son élan, elle semble être l’ambassadrice idéale d’une génération d’artistes dont la rigidité du milieu de l’art d’après-guerre limite la visibilité. Celle qui se vouait à l’astrologie se lance alors dans un projet qui, de l’ouverture d’un minuscule espace devenu mythique – sis au 3, rue des Beaux-Arts dans le 6e arrondissement de Paris – à la fermeture définitive de son appartement-galerie à la fin des années 1970, lui appartient en plein. N’oublions pas qu’une femme n’avait pas même la possibilité d’ouvrir un compte en banque sans l’aval de son mari ! S’inventer galeriste pour représenter de jeunes artistes inconnus nécessitait donc une volonté, une indépendance, une énergie et un engagement total. Changer les codes pour faire date et ne pas hésiter à faire scandale.
UNE AVENTURE ÉDITORIALE
C’est dans cet esprit que la revue iris.time unli-mited a vu le jour, telle une blague d’abord, ou la promesse d’un travail éditorial festif à réinventer pour chaque numéro, mais aussi comme « un formidable outil de communication et de promotion », selon les mots du critique d’art Pierre Restany. Calquée sur la maquette du quotidien à grand tirage France Soir, imprimée sur papier bible en 4000 exemplaires d’emblée, puis en 6000 à partir de 1968, la revue témoigne d’une incroyable vivacité des avant-gardes d’alors et d’une liberté, d’une effronterie à l’œuvre, en dépit du sérieux accordé au commerce de l’art. Critiques, tribunes, revues de presse, chroniques mondaines, publicités ou horoscope composent chaque numéro comme une capsule d’art et de temps unique.
Iris.time unlimited constitue un très bel hommage au travail d’une galeriste inventive, comète de son temps, et rappelle que l’art peut aussi – et encore – être un formidable terrain d’expérimentation et de jeu.
-
Clément Dirié, iris.time unlimited (1962-1975), Ezanville, Semiose, 2023, 208 pages, 60 euros.