Comment avez-vous imaginé KADIST ? Et quels en étaient les buts et les contours ?
La motivation originelle de KADIST est le soutien à la création, à travers une collection, dont les premières œuvres ont été achetées à partir de 2003. Notre fonctionnement a toujours été très collectif. Au début, nous avions un comité pour la collection et un comité de programmation. Au fil des années, nous avons développé un réseau de conseillers internationaux. À présent, nous avons deux commissions d’acquisition par an et par région. Le budget initial a été multiplié par cinq.
Le second pilier de KADIST, ce sont les résidences pour artistes, que nous organisons à Paris dans un espace de la rue des Trois-Frères; la collection est très liée à ces résidences. Ce soutien est d’emblée passé par une exploration de médiums assez pointus comme la vidéo et la performance, et aujourd’hui les NFT et l’intelligence artificielle. Notre programme reflète par ailleurs une grande ouverture géographique. Ces résidences sont essentiellement destinées à des artistes, mais elles sont également ouvertes à des commissaires d’exposition ou des critiques d’art qui arrivent en général avec leur réseau, ou leur famille d’artistes – et en cela aussi, je crois que nous avons été parmi les premiers.
Comment voyez-vous l’avenir de cette collection ?
Nous avons réuni environ 2 200 œuvres, représentant plus de 1 000 artistes et 120 nationalités différentes, mais nous ne souhaitons pas créer un espace d’exposition permanent dédié. Alors, une collection de ce type, soit on la disperse, soit on la donne. Et nous aimerions trouver une formule entre les deux, qui permette à d’autres institutions de s’en servir, de générer des idées… En d’autres termes, nous voulons que cette collection reste contemporaine. Et c’est dans cette perspective que nous avons imaginé le programme « KADIST Collaborations with Museums ». C’est l’idée d’une collection nomade qui pourra être prêtée pour trois à cinq ans à des institutions, dans un esprit de complémentarité entre secteur public et secteur privé.
Ce format de collaboration sera inauguré au Centre Pompidou avec un premier thème « Création contemporaine et intelligence artificielle ». Nous avons pensé un après-midi de rencontres, le 13 juillet 2023, dans le cadre du Festival Moviment*1,pour développer un point de vue critique sur l’intelligence artificielle dans l’art. Nous lancerons aussi de nouvelles productions et préparerons une exposition-dossier, qui se tiendra en 2024 dans les salles du musée et sera accompagnée d’une donation. En 2025, la fermeture du Centre sera peut-être l’occasion de nous intéresser à la réalité augmentée et à l’art dans l’espace public. Puis les collaborations avec les musées se poursuivront à la Pinacothèque de l’État de São Paulo, et nous espérons qu’un troisième volet se construira en Afrique de l’Ouest.
Vous souhaitez également faire prendre à KADIST un nouveau tournant international : en que sens ?
À Paris, par exemple, le contexte de l’art a énormément changé depuis que nous avons ouvert : beaucoup de lieux nouveaux présentent de grandes expositions internationales. En conséquence, nous voulons renforcer notre rôle de soutien à la création et au débat d’idées. Nous avons lancé une collaboration avec le très dynamique centre d’art de Tunis, le 32Bis, qui donnera lieu à une exposition de vidéos, une façon d’explorer la jeune scène tunisienne. Nous avons également invité Hoor Al Qasimi, directrice de la Sharjah Art Foundation, à faire une exposition à KADIST qui fasse dialoguer sa collection et la nôtre à l’automne 2023. L’œuvre de Farah Al Qasimi, Um Al Dhabaab [Mère de brouillard], que nous avons soutenue pour la 15e édition de la Biennale de Sharjah*2, donne le ton.
Nous ouvrirons aussi cette année un nouveau lieu de résidence parisien dans le haut du Marais, pour accueillir à la fois des chercheurs et des rencontres sur invitation. Nous recevrons des acteurs engagés qui auront une actualité à présenter, qu’ils soient entrepreneurs, actifs dans la tech ou dans le champ social. Cet appartement est rénové par l’architecte Lina Ghotmeh.
Ce tournant international est accompagné par un tournant social : pourquoi avoir dissous Council après dix ans ?
Il y a dix ans, j’ai cofondé Council avec Grégory Castéra afin de répondre à une nécessité de pluridisciplinarité. Il nous semblait important d’offrir la possibilité d’une « recomposition des savoirs », pour reprendre les mots de Bruno Latour. Nous voulions nous tourner vers la société civile, nous avons collaboré avec des ONG pour réunir par exemple des avocats et des artistes sur des questions communes. L’activité de Council était très expérimentale et sans compromis, avec, pour chaque projet, un format unique, publication, revue ou rencontres… Elle devait donc rester limitée dans le temps. Cet engagement social est à l’image de la collection KADIST, une fenêtre sur le monde, montrant des réalités sociales et politiques diverses, présentant des scènes artistiques que l’on connaît moins en France.
Et pourquoi cette nouvelle entité, AFIELD ? Comment s’inscrit-elle en lien avec KADIST ?
AFIELD, qui est abrité dans le bâtiment de KADIST, est très complémentaire de la collection. « Further afield » signifie à la fois la continuité et le pas de côté : nous recherchons l’impact social de l’art au-delà de l’œuvre. Avec AFIELD, je souhaitais aussi soutenir les artistes dans leurs engagements, là où ils ont envie et besoin d’être. Et nous sommes peu à le faire. C’est une démarche autant philanthropique que curatoriale. AFIELD donne des bourses à des artistes. Nous commençons à créer des réseaux entre les lauréats, grâce à un groupe de « facilitateurs », qui mène la stratégie et le développement d’AFIELD. Parmi eux : Diana Campbell Betancourt, Chantal Wong, Grégory Castéra, Yabebal Fantaye… Par exemple, pendant la Foire d’art contemporain Expo Chicago, nous avons organisé des visites pour faire découvrir des initiatives sociales d’artistes sur le terrain, celles de Theaster Gates, mais aussi d’Andrea Yarbrough, qui réhabilite des espaces vacants en lieux d’hospitalité. En France, dans le domaine de la mode, nous avons beaucoup soutenu About A Worker, qui crée des collections inspirées par ceux qui les réalisent. J’admire le travail de PEROU, le pôle d’exploration des ressources urbaines, qui construit un bateau nommé L’Avenir pour sauver les migrants en Méditerranée.
Cela vous conduit-il naturellement à regarder vers le Sud global ?
Oui, car il y a moins d’infrastructures publiques dans les pays du Sud. Et bien souvent, les artistes s’emparent de ces manques. Ils deviennent des acteurs engagés de la société civile et créent des centres d’art (comme celui d’Ibrahim Mahama à Tamale ou celui de Michael Armitage à Nairobi), des biennales (la Biennale de Lubumbashi), des cinémas (comme ceux de Khalil Joreige et Joana Hadjithomas à Beyrouth ou d’Yto Barrada à Tanger). Comme nous fonctionnons de façon très décentralisée, les anciens boursiers en proposent de nouveaux, et cela nous amène dans des territoires moins « européanocentrés ». C’est dans cette histoire-là que nous nous plaçons.
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*1 Du 3 mai au 14 juillet 2023.
*2 Du 7 février au 11 juin 2023, Khorfakkan Art Center, 104 S115 Hatin, Sharjah, Émirats arabes unis.
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kadist.org