Comment l’idée de la Fondation Linklaters est-elle née ?
La Fondation d’entreprise Linklaters a été créée en 2015 pour structurer les actions de mécénat du cabinet, centrées sur la pédagogie solidaire et le mécénat culturel. Nous avons très rapidement établi des liens avec des institutions comme LE BAL [à Paris], avec lequel nous nous sommes engagés sur le long terme pour financer des programmes de pédagogie de l’image pour les jeunes. Par l’intermédiaire d’une agence de location d’œuvres, nous avions affiché des gravures aux murs. J’ai proposé à mes associés de les remplacer par des photos que nous achèterions et de nous concentrer sur ce médium.
Quelle est l’ampleur de cette collection ?
C’est un secteur que j’adore. Je suis moi-même collectionneuse et j’essaie d’être en permanence au courant de ce qui se passe. Nous avons des collaborateurs très jeunes, et le médium photographique est celui qui parle le mieux aux nouvelles générations. Il y a beaucoup d’amateurs dans le cabinet. Nous avons commencé en 2010 par des photos de Raymond Depardon. Nous avons ensuite acquis de façon assez opportuniste des œuvres de Carl De Keyzer, un photographe belge de chez Magnum, que j’ai toujours beaucoup aimé. Cela reste artisanal : il a encadré lui-même ses œuvres et est venu nous les apporter. Nous avons acheté, en ventes publiques, des images de la Nasa. Nous avons aussi des tirages de Bernard Plossu, de Charles Fréger et de Mathieu Pernot. Nous nous sommes essentiellement concentrés sur des artistes européens et sur la thématique de l’action de l’homme sur l’environnement. Nous avons également des images de Robert Polidori, notamment de sa série sur la rénovation du château de Versailles, et de Stéphane Couturier sur le port de Sète. Pour cette acquisition, nous avons constitué, avec des collaborateurs, un jury qui a rencontré l’artiste lors d’une visite d’atelier dédiée. En tant que cabinet anglais installé à Paris, cela a vraiment du sens de collectionner des artistes français. Nous avons en tout plus d’une centaine d’œuvres dans la collection. Les photos sont essentiellement accrochées dans les salles de réunion, les espaces d’accueil et de circulation. Dans chaque pièce, nous mettons à disposition des fiches explicatives, et les photos sont accompagnées de cartels.
Comment les collaborateurs sont-ils impliqués dans la Fondation ?
Nous finançons des projets, distribuons des bourses, mais dans tout ce que nous faisons, nous essayons toujours d’associer les collaborateurs du bureau. Dans le domaine de la pédagogie solidaire, c’est plus simple. Nous attribuons des bourses à la Cité universitaire de Paris pour des étudiants. Ces derniers bénéficient alors d’un mentor au sein du bureau, notamment des avocats pour les étudiants en droit. Pour la partie culturelle, nous organisons plusieurs visites d’expositions par an, par exemple récemment celle de Thomas Demand au Jeu de Paume [à Paris].
Quelles sont vos actions les plus récentes ?
Nous avons lancé une aide à la production pour Charles Fréger. Son prochain projet est centré sur les Philippines. Il nous a expliqué ses objectifs, et nous allons l’accompagner. Il viendra au bureau nous montrer son nouveau travail, et nous ferons l’acquisition d’images pour une autre pièce de notre siège parisien. La salle de réunion, où sont actuellement accrochées ses photos de la série Yokainoshima, est d’ailleurs la plus populaire du bureau, et la plus réservée ! Cette nouvelle forme de partenariat est liée aux 50 ans du cabinet.
Quels autres axes comptez-vous développer dans le domaine culturel ?
Nous avons collaboré avec le musée d’Orsay [à Paris], sur différents programmes, notamment pendant la pandémie de Covid-19. Nous avons
financé des conférences pour les publics éloignés et des présentations interactives afin d’essayer d’amener les gens au musée. Plus récemment, nous avons soutenu auprès du musée du quai Branly – Jaccques Chirac [à Paris] une initiative destinée aux femmes détenues, ce qui a élargi un peu le champ de la Fondation. Organiser ces visites, auxquelles assiste aussi le personnel pénitentiaire, est complexe pour le musée. Les femmes font ensuite une restitution de l’exposition en rapport avec leur propre histoire. Nous avons également financé une initiative du Palais de Tokyo [à Paris] à destination de jeunes sous protection judiciaire.
Et pour les plus jeunes ?
Au début de la mise en place de nos actions de mécénat, j’ai échangé avec Éric de Chassey, membre du conseil d’administration de la Fondation [et collaborateur de notre journal]; il m’a suggéré de nous rapprocher de l’association La Source, qui bénéficie de l’implication de Gérard Garouste. Nous avons commencé à travailler avec elle en 2017. Nous invitons des enfants à venir au cabinet, nous leur faisons visiter les Champs-Élysées, la tour Eiffel ou l’Arc de triomphe. Pour la plupart, c’est la première fois qu’ils se rendent à Paris. Ils font une présentation devant tous les collaborateurs des ateliers artistiques que nous finançons et auxquels ils ont participé. Gérard Garouste est venu plusieurs années de suite. La majorité de nos partenariats sont pérennes, par exemple avec LE BAL ou l’École de la deuxième chance en Seine-Saint-Denis.
Soutenez-vous également des expositions ?
Nous avons apporté notre soutien aux expositions « Keith Haring [The Political Line] » au musée d’Art moderne de Paris [en 2013], « David Hockney » au Centre Pompidou [en 2017], « Picasso. Bleu et rose » au musée d’Orsay [en 2018-2019] ou encore « Niki de Saint Phalle » au Grand Palais [en 2014-2015], institutions avec laquelle nous avons beaucoup travaillé. À chaque fois, nous impliquons les membres du bureau, nous organisons des visites, des soirées avec les clients. Je peux d’ores et déjà dévoiler la prochaine exposition que nous allons parrainer : la grande rétrospective de Nicolas de Staël au musée d’Art moderne de Paris qui aura lieu du 15 septembre 2023 au 21 janvier 2024. Il est important, en tant que cabinet d’avocats, que nous ayons cet engagement pour la cité, qu’il bénéficie à tout le monde. Cela humanise aussi notre travail et facilite les échanges avec nos clients.
Quels sont vos autres programmes ?
Nous avons lancé une résidence. C’est un programme qui nous a été soumis par la Drac [Direction régionale des affaires culturelles] Île-de-France et Paris Île-de-France Capitale économique. Ils disposent de pools d’artistes et ils cherchent à leur donner la possibilité d’effectuer des résidences en entreprise. Nous avons proposé de sélectionner un photographe. Assez rapidement, le dossier de l’artiste SMITH nous a paru formidable. Nous avons été emballés par l’œuvre et le personnage. Il est docteur en histoire de l’art et s’exprime très bien… et c’est une avocate qui le dit ! Ce que j’aime beaucoup dans ce programme, c’est qu’il n’y a aucune obligation de résultat, pas d’objectif, pas de production. SMITH a bénéficié d’un bureau pendant six mois, jusqu’au 31 mars 2023, et il y est venu quand il voulait. Les membres du cabinet pouvaient échanger avec lui. Tout le monde a été séduit. L’artiste avait ainsi son espace pour mener sa réflexion. Je pense que nous acquerrons bientôt l’une de ses œuvres, à nouveau à travers un jury interne.
Vous avez également apporté une aide à l’Ukraine.
Nous avons été contactés par la RMN-Grand Palais et l’Andea qui ont monté un fonds d’urgence pour soutenir les artistes ukrainiens. Ils nous ont proposé d’y participer. À la fin de l’année 2022, la Fondation a décidé de leur accorder une aide exceptionnelle.
Vous présidez aussi, à titre personnel, le Centre européen d’actions artistiques contemporaines, à Strasbourg…
Il avait connu des vicissitudes dans le passé. L’idée était de le relancer et d’obtenir le label « Centre d’art contemporain d’intérêt national ». Un nouveau conseil d’administration a été mis en place. Nous avons recruté une directrice, Alice Motard, qui a travaillé auparavant au Capc musée d’art contemporain de Bordeaux. Pour l’exposition « Au bonheur » [1er octobre 2022-26 février 2023], nous avons eu de très nombreux visiteurs. Actuellement [jusqu’au 3septembre 2023] est présentée une exposition personnelle d’Anne Laure Sacriste. Nous menons aussi un important programme de résidences qui est en cours de renouvellement. Nous sommes financés majoritairement par la Région, mais avons dernièrement obtenu une augmentation de la subvention de la Ville de Strasbourg et de l’État. Nous sommes en train de relancer le parc de sculptures de Pourtalès, à Strasbourg, et de chercher du mécénat, notamment pour la signalétique.
Vous êtes par ailleurs collectionneuse. Quel domaine vous intéresse en dehors de la photographie ?
Oui! Il y a bien sûr le prisme de la photo, mais mon mari [Emmanuel Guigon, directeur du musée Picasso de Barcelone] et moi aimons beaucoup l’art brut. Cela ne veut pas dire que nous ne souhaiterions pas acquérir une œuvre surréaliste ou un collage. Dernièrement, notre choix s’est porté sur une immense toile d’Antonio Saura, datée de 1962, représentant Brigitte Bardot. Nous sommes animés par des « multimonomanies » !
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