Yayoi Kusama est une immense artiste. En arpentant Paris ces derniers mois, il était en effet difficile de ne pas se rendre à cette évidence. Entre la Samaritaine et le siège de Louis Vuitton, face au Pont Neuf, s’élevait une statue représentant l’artiste, de 15 mètres de haut ! Tenant un sac à main arborant fièrement la griffe du malletier, elle semblait du bout d’un pinceau consteller le bâtiment de pois. Cette installation célébrait la nouvelle collection née d’une collaboration avec l’artiste japonaise se déclinant sous la forme de sacs à main, de chaussures, de vêtements, de chapeaux, permettant d’arborer un total look Kusama. Un peu plus et l’artiste se résumerait dans l’esprit du grand public à ses créations pour la marque de luxe.
Oui, Yayoi Kusama est une immense artiste et le musée Guggenheim de Bilbao vient cet été opportunément le rappeler avec une grande exposition organisée en collaboration avec le nouveau M+ de Hongkong. Présentée comme la « rétrospective définitive », la manifestation, fruit de quatre ans de recherche, retrace la carrière de l’artiste de 1945 à nos jours, à travers plus de deux cents œuvres réunies dans un parcours chronologique. L’exposition s’ouvre par une salle consacrée à ses autoportraits, depuis son tout premier, daté de 1950, présentant un visage ayant pris la forme d’un tournesol, au-dessus d’une bouche humaine, montrant l’influence du surréalisme sur l’alors jeune artiste japonaise. La salle suivante est dominée par une immense peinture de dix mètres de long dans cette section de l’exposition intitulée « L’infini ». Puis se déploient ses accumulations, que ce soit sous la forme de collages (Accumulation de lettres, 1961) ou de mobiliers constellés de phallus, dans une logique totalement obsessionnelle. La section titrée « Connectivité radicale » correspond à la période où l’artiste a émigré aux États-Unis. Son œuvre est influencée par un esprit pop, avec ces mannequins aux couleurs vives couverts de pois. Yayoi Kusama réalise aussi des performances et des vidéos engagées, défendant le droit des gays, luttant contre les discriminations selon le genre ou la race, dénonçant la guerre du Vietnam. L’exposition présente ensuite de façon exceptionnelle un ensemble de boîtes en hommage à son ami Joseph Cornell dont elle sera bouleversée par le décès le 29 décembre 1972. La mort est justement une autre section de cette rétrospective, l’artiste considérant d’ailleurs qu’il ne s’agit que d’un passage pour une autre forme d’existence. Le parcours s’achève par un gigantesque feu d’artifice de couleurs, avec une salle couverte de tableaux du sol au plafond, jusqu’à ses dernières productions. Dans ce très riche parcours, l’on pourra seulement regretter l’absence de ses installations immersives jouant sur l’infini et faisant perdre tout repère au visiteur.
Avec cette indispensable rétrospective, le musée Guggenheim de Bilbao vient à juste titre replacer la riche carrière de l’artiste au centre d’une actualité « Kusama » largement accaparée par le luxe. Et vient rappeler une évidence : Yayoi Kusama est une immense artiste.