L’art a jeté l’ancre à Ibiza. Du 12 au 16 juillet, l’île a accueilli la deuxième édition de CAN Art Fair (pour Contemporary Art Now), au FECOEV, le centre des congrès de la ville. Aux manettes : Sergio Sancho, directeur de la foire UVNT à Madrid, qui se déroule en même temps qu’ARCOmadrid. « La ville d’Ibiza était désireuse de lancer des projets qui ne soient pas uniquement tournés vers les loisirs. L’idée de la foire est née pendant la pandémie, quand l’île vivait au ralenti avec tous ses clubs fermés », confie le fondateur de CAN, boutique fair d’une trentaine d’exposants espagnols et internationaux.
Le projet s’est aussi appuyé sur un constat : « beaucoup de Hollandais, de Britanniques et de ressortissants d’autres pays qui ont une résidence ici ont commencé à télétravailler plus fréquemment à Ibiza, et à demander plus de culture. Même le nombre d’élèves dans les écoles a grandi ! », poursuit Sergio Sancho. La foire vise donc à la fois ce public, mais également les collectionneurs madrilènes souvent déjà en contact avec la foire UVNT, ainsi que le réseau de collectionneurs des galeries, sans compter le relais d’Artsy et d’Instagram. D’où des visiteurs très diversifiés sur cette édition, au-delà d’un solide noyau d’amateurs espagnols, qui ont pu y apprécier un rythme très détendu, loin des grandes foires internationales harassantes, participer à des dîners et prolonger tard la soirée au Pacha ou au Chinois, les clubs qui ont contribué à la célébrité de l’île…
Bien ficelée, la foire n’ouvre qu’en fin d’après-midi, jusqu’au soir, « ce qui permet aux galeristes d’aller à la plage avant ! », observe Sergio Sancho. Du côté de la logistique, les exposants se voient proposer une offre de transport groupé en bateau depuis Barcelone. Pour des raisons principales de coût, peu ont fait le choix d’envoyer des sculptures sur l’île. D’ailleurs, le propos de cette foire sur invitation pour les exposants n’est pas de refléter la diversité du marché de l’art contemporain mais bien d’adopter un prisme très précis : la peinture figurative, qui a dominé cette édition 2023. Ce choix délibéré du curateur de CAN, Sasha Bogojev, est pertinent pour une foire estivale et dans le contexte d’Ibiza… Si quelques stands péchaient par facilité esthétique, l’ensemble s’est avéré plutôt homogène grâce à ce travail de curation. L’homogénéité s’est retrouvée également dans un concept non officiel mais explicite : montrer des artistes plutôt émergents défendus par de jeunes galeries ayant pour la plupart encore besoin d’étendre leur réseau dans un contexte social favorisant les rencontres informelles. Artistes, galeristes mais aussi visiteurs étaient ainsi plus ou moins de la même génération…
Parmi les stands notables a figuré celui d’Alegria (Barcelone), avec un solo show de Breza Cecchini autour de la figure du Petit chaperon rouge (2 500 euros la sculpture en papier mâché, 4 500 euros pour une toile). « Nous avons vendu plusieurs pièces et noué comme l’an dernier des liens très intéressants avec des Espagnols mais aussi avec un public originaire du monde entier », précise Sebastian Rossello. Kleindienst, de Leipzig, a consacré, non sans une certaine audace, son stand au motif masculin. La galerie londonienne Beers a attiré beaucoup le public avec son focus sur les peintures du Canadien Andrew Salgado, dont le niveau de prix est déjà non négligeable, au-dessus de 20 000 euros le tableau.
Installée à Bruxelles et Paris, la galerie Stems a vendu notamment des œuvres de Laure Mary-Couégnias. « On sent que le bouche à oreille a fonctionné depuis la première édition. Je vois cette foire comme un mini Miami, avec des gens en short mais aussi des visiteurs sérieux qui connaissent les artistes et les galeries. Nous avons vendu à des Européens, des Allemands, des Français familiers d’Ibiza, et rencontré des Asiatiques et des Américains », explique le directeur, Guillaume Smets. Quant à Superzoom (Paris), qui présentait des peintures de l’Italienne Beatrice Scaccia, des Français Salomé Chatriot et Julien Heintz ou encore de l’Ukrainienne Taisiia Cherkasova, elle s’est délestée de plusieurs œuvres, vendues entre autres à un Américain de Los Angeles et à une Italienne basée à Londres.
Ballon rouge (Bruxelles) a dédié son stand à quatre artistes femmes, Laura Limbourg, Sofia Pashaei, Iseult Perrault et Pei-Hsuan Wang, dans une fourchette de prix allant de 4 000 euros à 14 000 euros. Des transactions ont été engagées auprès de collectionneurs espagnols, américains, français et hongkongais, précise la galerie.
Il reste cependant à mieux ajuster la climatisation dans la foire en pleine canicule, et à développer davantage le programme off dont la qualité reste inégale, à l’exception notable d’une installation de Joana Vasconcelos au musée d’art contemporain d’Ibiza, le MACE, ou à La Nave Salinas Foundation, espace privé au bord de l’eau qui accueille une impressionnante installation spécifique de Jonny Niesche – qui a transformé les lieux pour l’occasion – délibérément inspirée de James Turrell ou Mark Rothko. En attendant, au vu de ces deux éditions réussies, d’autres galeries réfléchissent à leur participation future, sachant que l’espace disponible reste limité…