Eva Jospin s’inspire depuis longtemps de l’Italie, une influence qui apparaît notamment dans ses sculptures en carton évoquant des forêts et des ruines. Six ans après sa résidence à la Villa Médicis à Rome, elle prolonge son « Italie imaginaire » au Palais des Papes à Avignon. Ce site a été construit au XIVe siècle alors que le pape Clément V, pour des raisons politiques, avait transféré le Saint-Siège dans l’actuel sud de la France. Il a servi de résidence aux Papes jusqu’à ce que Grégoire XI revienne à Rome en 1377.
Eva Jospin a intitulé son exposition « Palazzo », soit palais en français, en référence au Palais des Papes, qui est inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Dans cet immense labyrinthe gothique, elle a installé des sculptures en carton, des broderies et d’autres pièces, dont une nouvelle sculpture en bronze. Ce qui ressort au fil du parcours, c’est la répétition de motifs tels que les grottes, les forêts, des formes architecturales et des colonnes, qui réapparaissent à travers toute la gamme des supports. « La répétition, c’est essentiel pour ma façon d’avancer dans mon travail, explique Eva Jospin. Il y a toujours les formes qui deviennent comme un vocabulaire. Le motif, pour moi, c’est une forme qui s’échappe et qui se retrouve partout ».
Née en 1975, Eva Jospin, diplômée de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, transforme depuis deux décennies le modeste matériau de rebut qu’est le carton en sculptures densément stratifiées. Elle a été attirée par le carton en raison de sa disponibilité et parce qu’il s’agit d’un matériau industriel dérivé des arbres. Dans ses mains d’alchimiste, elle construit et manipule son matériau de prédilection en couches dessinant des paysages fictifs. Ses installations, immédiatement reconnaissables, ont été exposées dans la cour carrée du Louvre et au musée de la chasse et de la nature à Paris.
« Palazzo » rassemble certaines des « œuvres-lieux fictionnelles » d’Eva Jospin, comme elle les appelle, telles que Côté cour côté jardin (2021). Conçue à l’origine pour une exposition au Teatro Valli à Reggio Emilia, dans le nord de l’Italie, cette sculpture monumentale s’apparente à une grotte dont l’entrée ornée de stalactites est flanquée de panneaux intégrant des portiques – une incongruité qui renvoie à la manière dont Eva Jospin fusionne les idées pour créer des paysages impossibles. Sous les arches du Palais des Papes, l’œuvre prend une certaine majesté. Lorsqu’elle conçoit une œuvre, elle aspire à un état mental « mi-contemplatif, mi-rêverie », évoquant une « promenade mentale ».
L’exposition présente également plusieurs grands panneaux de soie brodée représentant des forêts luxuriantes dans de riches profusions de couleurs à différentes saisons. Ils ont été conçus pour former un décor, commandé par Maria Grazia Chiuri, directrice artistique de Christian Dior, pour la collection haute couture automne/hiver 2021-2022 de la maison, présentée alors au musée Rodin à Paris. La réalisation des broderies a concrétisé le rêve nourri par Eva Jospin depuis sa résidence à la Villa Médicis. « J’ai visité le Palais Colonna à Rome un samedi matin et j’ai trouvé la salle des broderies époustouflante – une espèce de jungles, avec des animaux exotiques comme des singes », se souvient-elle.
Parmi les nouvelles œuvres exposées à Avignon, figure Petite Folie (2023), une sculpture en bronze minutieusement réalisée, évoquant une grotte, méticuleusement ornée de minuscules coquillages, dont le centre est délimité par une croix. Créée pour « Palazzo », elle trône dans l’un des anciens appartements pontificaux décorés de fresques de chasse et de scènes religieuses qui, au fil des siècles, se sont estompées au point qu’il n’en reste plus que le bleu.
Autre œuvre nouvelle, une sculpture en spirale est composée de divers matériaux, de coquillages en verre soufflé et de perles. Elle est librement inspirée de la forme en double hélice de l’escalier de Bramante au Vatican.
Parallèlement à « Palazzo », Eva Jospin présente « Contre-Monde » à la Collection Lambert à Avignon (jusqu’au 17 septembre 2023). L’exposition présente des œuvres de petite taille issues de la carte blanche donnée par la marque de champagne Ruinart, dont elle est l’artiste de l’année 2023. Elle a été invitée à créer un projet inspiré par son exploration du domaine de Ruinart à Reims. En mars, elle a présenté l’exposition, « Promenade(s) en Champagne » au Carreau du Temple à Paris, et elle a conçu les stands de Ruinart dans diverses foires d’art à travers le monde cette année. Les pièces exposées à la Collection Lambert révèlent un aspect plus intime de son travail et un intérêt pour d’autres médiums, comme le dessin.
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« Eva Jospin : Palazzo », jusqu’au 7 janvier 2024, Palais des Papes, 84000 Avignon
« Eva Jospin : Contre-Monde », jusqu’au 17 septembre 2023, Collection Lambert, 5 rue Violette, 84000 Avignon