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Critique

Harry Gruyaert : une ode à la couleur

Au BAL, à Paris, l’exposition « Harry Gruyaert – La part des choses » réunit pour la première fois quatre-vingts tirages Cibachrome du photographe belge, réalisés entre 1974 et 1996.

Zoé Isle de Beauchaine
13 septembre 2023
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Harry Gruyaert, Belgique, Bruxelles, gare de Bruxelles-Midi, 1981, épreuve Cibachrome. © Harry Gruyaert/ Magnum Photos

Harry Gruyaert, Belgique, Bruxelles, gare de Bruxelles-Midi, 1981, épreuve Cibachrome. © Harry Gruyaert/ Magnum Photos

Un passager endormi dans un train, les néons d’une plage à Ostende, un morceau de visage couronnant un pull bariolé, les architectures de Cergy… dans les yeux d’Harry Gruyaert, ces « banalités » du quotidien deviennent pigments. Il les transfigure et les fixe à jamais sur le grand nuancier que constitue son œuvre photographique.

UN PIONNIER DE LA PHOTOGRAPHIE COULEUR

Né à Anvers en1941, Harry Gruyaert découvre la couleur à la fin des années 1960, lors d’un voyage aux États-Unis où il rencontre les grands coloristes américains, les photographes Joel Meyerowitz, William Eggleston et Stephen Shore, et des figures du pop art. De retour en France, où il s’était installé après ses études, il se tourne vers la couleur et devient l’un des premiers photographes européens à s’y consacrer pleinement, alors que celle-ci n’est utilisée que dans la publicité et qu’elle est associée à une forme de « trivialité ». Henri Cartier-Bresson, cofondateur de l’agence Magnum Photos, l’a d’ailleurs en horreur; cela n’empêchera cependant pas le photographe belge de l’y rejoindre quelques années plus tard, en 1981. Dans son art, Harry Gruyaert s’intéresse à la subjectivité de l’auteur plutôt qu’au document. « Se faire voyant, pas témoin » : c’est avec cette idée qu’il parcourt le monde à partir des années 1970. Ainsi, ses prises de vue faites en Belgique et en France ouvrent l’exposition du BAL avant de laisser place à celles de contrées plus éloignées comme les États-Unis, dont le photographe confronte les couleurs tape-à-l’œil à celles plus sourdes de l’Union soviétique. Au Maroc, ce sont les ombres qui l’attirent, la manière dont elles redessinent une scène de vie ou en isolent un détail.
La couleur permet à Harry Gruyaert de s’exprimer plus librement, il joue avec, à la manière d’un peintre. Ses aplats sont d’une intensité éclatante. Il les obtient grâce au Cibachrome, un procédé de tirage photographique couleur inventé en 1933 par le chimiste hongrois Béla Gáspár et commercialisé à partir de 1963. Contrairement aux tirages traditionnels où l’image se forme par ajout de pigments, avec le Cibachrome, ces derniers sont déjà présents sur le papier et retirés par destruction pour arriver au résultat final. Il en ressort une richesse chromatique incomparable. En observant les tirages Cibachrome d’Harry Gruyaert, on ne peut s’empêcher de penser au pouvoir thérapeutique de la couleur. Ses photographies sont comme des friandises acidulées. Pleines de poésie, elles se savourent lentement et excitent l’œil autant qu’elles l’envoûtent. Lorsque le Kodachrome, sa pellicule fétiche, cesse d’être exploité – en 2009 –, Harry Gruyaert apprivoise petit à petit le numérique, une technique qui l’amènera à explorer une palette encore plus riche.


SCÉNOGRAPHIE ET COMPOSITIONS

La couleur est également le maître-mot de la scénographie. Cyril Delhomme, qui conçoit les expositions du BAL depuis plusieurs années, a immédiatement voulu inscrire les images d’Harry Gruyaert dans leur temps, à travers les tonalités particulières et très tranchées des années 1970. Cela reflète aussi le parti pris – toujours réussi – du lieu d’imaginer des mises en espace originales : « Les jeunes générations ont tendance à placer leurs œuvres dans une exposition très muséale de type white cube, pensant ainsi s’affirmer comme artiste. Mais depuis dada ou l’arte povera par exemple, il y a une réelle volonté de sortir du musée et de privilégier l’expérience du spectateur. C’est ce que je recherche en tant que scénographe. »

Les mises en scène très élaborées font cependant débat. Pour beaucoup, elles éclipsent le travail de l’artiste. À cette critique, Cyril Delhomme répond qu’il agit au contraire dans le sens de l’œuvre « pour la magnifier et la rendre plus visible ». Pour cet accrochage, les photographies d’Harry Gruyaert ont été placées dans un cadre doté d’une vaste marge noire qui les isole, tant des aplats muraux que de la série adjacente, grâce au rythme créé par l’inégalité d’alignement. De chaque image émane une même intensité. Une présentation classique aurait noyé leur force dans une certaine monotonie, tandis qu’ici leur unicité est soulignée.

Ses photographies sont comme des friandises acidulées. Pleines de poésie, elles se savourent lentement et excitent l’œil autant qu’elles l’envoûtent.

Harry Gruyaert, Belgique, Anvers Carnaval, 1992, épreuve Cibachrome.
© Harry Gruyaert/Magnum Photos


L’architecture des cimaises amène quant à elle des points de fuite faisant écho aux compositions fortes produites par le photographe pour qui la ligne est essentielle. En témoignent le cliché des trois enfants jouant dans une banlieue américaine (Banlieue de Las Vegas, USA, 1982) ou la scène de rue à Ouarzazate (Ouarzazate, Maroc, 1986) dans laquelle tout n’est que géométrie. Certaines images frôlent l’abstraction et vont parfois jusqu’à évoquer le collage, auquel l’artiste fait d’ailleurs lui-même référence : « La réalité ressemble à un collage de [Pablo] Picasso dont les éléments n’étaient pas faits pour être mis ensemble, mais qui, soudain juxtaposés, signifient et disent quelque chose qui était insaisissable avant. » Les réalités d’Harry Gruyaert comptent peu de protagonistes. L’humain n’a pas le premier
rôle dans son tableau coloriste du monde; le photographe s’en approche furtivement pour en figer les formes et les nuances. À Ouarzazate, les silhouettes ne sont plus que deux points dans un « champ de lignes ». Gruyaert n’hésite pas non plus à barrer un visage avec le bois d’une fenêtre ou avec un ballon rouge vif. De même, et peut-être par timidité, il préfère l’évanescence de la rue aux intérieurs confinés. Il commentait récemment son désamour des huis clos pour le podcast Vision(s)*1 : « La liberté est quelque chose de primordial pour moi. Se sentir comme un oiseau, très mobile et nerveux, qui peut aller n’importe où, venir, revenir, prendre de la distance et regarder. »
L’exposition se clôt sur une projection de trois courtes vidéos : l’été en Irlande, un roadtrip de Los Angeles à Las Vegas et l’année 1989 à Moscou. Chacune nous immerge dans une nouvelle gamme chromatique, soulignant à quel point la couleur sert de repère au photographe pour appréhender et raconter un lieu. Avec elle, il aura appris – et nous apprend – « à regarder autrement la banalité, à accepter une sorte de laideur du monde et à en faire quelque chose ».

*1 Vision #37 – Harry Gruyaert : visions.photo/podcasts/harry-gruyaert

-

« Harry Gruyaert – La part des choses », 15 juin - 24 septembre 2023, LE BAL, 6, impasse de la Défense, 75018 Paris.

ExpositionsLE BALHarry GruyaertPhotographieParisCibachromeCyril Delhomme
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