Katharina Grosse : The Bedroom
Un jour de l’année 2004, Katharina Grosse a choisi de peindre son lit, les objets autour et les murs, selon sa manière habituelle, c’est-à-dire principalement au pistolet. L’intention était de produire une œuvre privée (Das Bett ne nous est connue que par la photographie) et de s’attaquer exceptionnellement à des choses auxquelles elle tenait. Cette façon de partir ou de repartir de chez soi, de faire entrer une part d’intime et d’associations symboliques dans un travail résolument abstrait a représenté pour elle un tournant. D’autres lits sont apparus par la suite dans ses installations mais, pour la première fois, le lit original de la chambre de Düsseldorf est repris dans une installation conçue et réalisée dans l’espace de la galerie.
Il s’agit par conséquent d’une tout autre œuvre, même si celle-ci réveille un souvenir. Avec ce lit déraciné, et un environnement domestique reconstitué (piles de livres, quelques vêtements, des cartons d’emballage), et même un petit tableau peint dans le même mouvement, elle a trouvé une façon de construire la composition picturale et d’habiter le cube blanc. Les couleurs, vert, rouge, jaune, amplement répandues sur le sol, nous entraînent vers l’objet principal placé au fond.
Les murs portent les mêmes couleurs mais répandues parcimonieusement avec des effets de fumée. Au cours de la préparation, deux grandes toiles sur châssis avaient été posées contre les murs et peintes comme des œuvres d’atelier. La peinture des murs est essentiellement un débordement. Il y a près de vingt ans, Katharina Grosse, non sans ironie, sacrifiait son intérieur pour la gloire de l’art ; aujourd’hui, elle se sert de ce lit comme un outil et un moyen d’investigation. Avec lui, elle écrit un nouveau récit qui mêle la chambre, l’atelier et l’espace public.
Du 8 septembre au 21 octobre 2023, Galerie Max Hetzler, 46 & 57, rue du Temple, 75003 Paris
Claude Closky : Walking on a wire to all time low
Avec des mots tirés des dépêches d’agences et des nouvelles des quotidiens en ligne (en langue anglaise), Claude Closky a construit ce qu’il nomme des poèmes dans le respect du mètre et de la rime et en a tapissé les murs de la galerie. Chaque mot, locution, verbe a été imprimé en noir sur feuille adhésive orange au format A4 de manière à coller au bord. Plus le mot est long, plus ses caractères sont petits, et c’est l’article « A » anglais qui visuellement domine. Ces variations de dimensions dans les mots d’une même phrase (ou vers ?) créent une sorte de pulsation visuelle qui serait l’équivalent d’une déclamation. Avec l’ajout de quelques feuilles sans texte, les poèmes dessinent des figures ultra-stylisées d’hommes ou d’animaux.
La mise en forme et en espace s’inspire de la poésie visuelle, de l’affichage sauvage et des mises en garde sur les chantiers. Les textes font surgir des images sans grand souci de la construction grammaticale, un autre genre de broken english. On reconnaît l’économie du recyclage et le souci de transparence propres à Closky. L’efficacité propre à la langue de l’information est accentuée, et détournée en un principe créatif qui fait primer la vitesse sur le sens. Il s’agit moins de s’évader de la réalité qu’à offrir un autre regard sur elle, avec la plus grande liberté. À partir de ce qui nous laisse généralement sans voix, quelque chose s’invente qui appelle la scansion, voire le chant. Comme il est écrit quelque part : « Headlines unpredictable race », ce que l’on pourrait traduire par « Gros titres, course imprévisible ». .
Du 8 septembre au 22 octobre 2023, Galerie Laurent Godin, 36 bis, rue Eugène Oudiné, 75013 Paris
Sammy Baloji : The King’s Order to Dance
The King’s Order to Dance est le titre d’un enregistrement pseudo-ethnographique d’Albert Kudjabo, Congolais, soldat belge, prisonnier en Allemagne au cours de la Première Guerre mondiale. Autour de sa figure, Sammy Baloji a construit une nouvelle installation faite de photographies de nature documentaire, de sons archivés et l’a mise en rapport avec une œuvre plus ancienne. Celle-ci, qui porte un titre au souffle lyrique – … and to Those North Sea Waves Whispering Sunken Stones –, est un grand terrarium qui contient des plantes du Congo et dont la forme cristalline s’inspire d’un des minerais extraits du même pays. Avec ces éléments, Baloji entremêle différents récits de l’histoire coloniale, des premières importations de plantes exotiques à l’exploitation des sols et des sous-sols : du cuivre utilisé autrefois pour la fabrication des obus à l’uranium aujourd’hui. Il a photographié les paysages autour d’Ypres, quelques vitrines et objets de son musée ; la côte près du banc du Paardenmarkt où ont été immergées des dizaines de milliers de tonnes de munitions non explosées.
Dans le film Aequare The Future That Never Was, des images d’archive du type propagande institutionnelle sur la modernisation agricole dans la forêt de Yangambi alternent avec des vues récentes qui montrent des équipements à l’abandon et des ruines. Plans très brefs, montage sec, sans complaisance esthétique. L’indignation est là, évidemment, mais l’ensemble de l’exposition frappe par sa simplicité, par le relatif effacement de l’artiste derrière des pièces à conviction qui bouleversent et donnent le vertige.
Du 9 septembre au 16 décembre 2023, Imane Farès, 41, rue Mazarine, 75006 Paris
Luboš Plný : body language
L’œuvre de Luboš Plný qui fut dans sa jeunesse modèle, tourne tout entière autour de son corps, dans toutes les dimensions de celui-ci. L’exposition présente trois aspects de son travail – dessin, photo, sculpture –, qui représentent aussi trois approches extrêmement distinctes dans leur visée comme dans leur esprit.
Les dessins sont certainement la part la plus impressionnante de l’œuvre. Il s’agit de grandes compositions nourries de sections de planches anatomiques, recomposées, réorganisées pour tracer la carte d’un cosmos. Outre la réécriture des noms d’organes figurent aussi des chiffres indiquant l’instant et la durée de la création de chaque segment, ainsi que l’âge de l’artiste (en jours). Des anneaux rayonnants, des réseaux de lignes hachurées relient les différents éléments de cecorpus linguae. On peut imaginer que l’artiste s’est nourri de Robert Fludd et de dessins tantriques avant de construire sa propre manière de se penser soi-même comme corps et comme monde.
Les photographies qui documentent une performance extrême s’annoncent comme une recherche explicite d’un seuil de douleur et se rattachent à une autre histoire. Les objets érotiques consistent en un interminable réseau de tubes de PVC couvrant les murs de la galerie, avec des phallus ou équivalents à chaque terminaison, et quelques allusions aux organes génitaux féminins. Cela ressemble à une mise à plat d’un certain langage surréalisant, plus grinçant que joyeux.
Du 9 septembre au 22 octobre 2023, christian berst - art brut, 3-5, passage des Gravilliers, 75003 Paris