Au même moment en Suisse romande, et à 90 kilomètres de distance, deux expositions d’art contemporain abordent le thème du son. À Genève, c’est « KorSonoR » organisé par Olivier Kaeser. À Sion, c’est la première Biennale Son initiée par Jean-Paul Felley avec ses 70 artistes et musiciens répartis dans 17 lieux du canton du Valais. Le hasard veut que les deux curateurs aient travaillé ensemble pendant 29 ans, dont dix à la tête du Centre culturel suisse de Paris, avant de poursuivre leurs carrières chacun de leurs côtés. « Ce n’était pas du tout concerté, assure Jean-Paul Felley directeur de l’École de design et Haute école d’art du Valais (EDHEA) et co-organisateur de la manifestation avec Christophe Fellay, artiste sonore et musicien, Luc Meier, directeur de La Becque, résidence d’artistes à la Tour-de-Peilz, et Sylvie Zavatta, directrice du FRAC Franche-Comté. Entre Olivier et moi, il existe forcément des connexions. Dans l’une de nos premières expositions à Paris, nous avions montré des œuvres qui évoquaient la musique, mais qui ne produisaient pas de son. » Il y a comme ça d’heureuses coïncidences.
« Je voulais organiser une grande exposition en Valais pour rattraper notre retard par rapport aux autres grandes villes de Suisse », reprend Jean-Paul Felley, pour qui la thématique de l’art et du son s’est imposée naturellement. « L’art sonore, c’est la filière HES que je pousse depuis mon arrivée à l’école en 2018. Émotionnellement, le son et la musique sont des vecteurs plus intenses que la peinture ou la sculpture, qui peuvent aussi bien vous exalter que vous opprimer. Je remarque aussi que depuis une dizaine d’années, l’art sonore a gagné en qualité et en visibilité. Dans beaucoup de grandes expositions, le son joue un rôle de premier plan. Même s’il existe peu de biennales qui lui sont intégralement consacrées. Mais, c’est ce lieu fabuleux qui a vraiment donné l’impulsion à ce projet sur lequel je travaillais depuis deux ans », continue le curateur en embrassant l’ancienne centrale hydroélectrique de Chandoline, à Sion. Construit en 1935, ce bijou de l’architecture moderniste industrielle valaisanne accueille désormais des soirées, des événements et les bureaux de quelques associations locales. Et donc pendant deux mois aussi, il est le cœur névralgique de la biennale.
À l’intérieur de l’immense bâtiment, Der Allplatz, les scènes déstructurées que Latifa Echakhch avait installées à Bâle lors de la dernière édition d’Art Basel, s’adaptent selon les circonstances : performances de Christian Marclay, concert des Young Gods avec la Landwehr de Fribourg – les uniformes bleus à boutons dorés des 80 musiciens rappellent les origines militaires de la fanfare – qui reprennent ensemble In C de Terry Riley. « Pour moi il était important que les choses bougent tout le temps, que les pièces changent pour ne pas figer la biennale, poursuit Jean-Paul Felley. Tout comme je voulais que les répétitions des différents événements se déroulent pendant les heures d’ouverture et que le public ne soit pas averti. Que les gens puissent aller et venir au milieu des Young Gods qui répètent. »
Juste au-dessus, un piano mécanique est accroché à 10 mètres de hauteur. Il joue à intervalle régulier une composition de l’Américain Alvin Curran, figure majeure de la musique contemporaine des années 1970 et l’un des fils rouges de l’exposition. Dans une vitrine de l’ancienne halle des turbines, des poteries sèchent. Le physicien Georges Charpak pensait que les sons que nous produisons s’imprimaient sur les choses. Saâdane Afif vérifie cette théorie poétique en direct en faisant lire des textes d’artistes à une comédienne pendant qu’une céramiste tourne des vases en argile. Tandis que, juste à côté, la Lucernoise Dominique Koch expose ses bulles de verre soufflé, fossiles fragiles des sons qui leur ont donné leurs formes.
Car la Biennale Son expose aussi beaucoup d’œuvres muettes qui évoquent l’idée de la musique. Cette variété évite l’écueil cacophonique et fait la grande réussite de cette première édition. L’art sonore exige du spectateur une concentration particulière, qui doit mettre des images sur ce qu’il entend. Convoquer le support visuel (peinture, sculpture, photographie et vidéo) permet de mieux articuler cette matière abstraite. À la Ferme-Asile de Sion, Anri Sala projette son film If and Only If dans lequel un escargot qui rampe sur un archet impose son tempo lent au violoniste interprétant l’Élégie pour alto solo d’Igor Stravinsky. Derrière l’écran, les lumières éclairent la grange en suivant le rythme des notes, comme un battement. Et donnent l’impression que le lieu est un corps qui respire.
1re Biennale Son, jusqu’au 29 octobre 2023, Sion, Suisse.