Time Travel est un magnifique concentré de l’univers de Laurent Grasso, où la puissance hypnotique des images et de la science lui sert à repousser les limites spatiotemporelles pour jouer avec notre inconscient et notre perception du réel. À travers un panorama de ses œuvres et installations, les pages de cet ouvrage nous font vagabonder au fil des grandes thématiques qui animent l’artiste : le voyage dans le temps, la visualisation de l’invisible, les phénomènes et désastres imaginaires, les questions de pouvoir et de contrôle, les « objets influents » revêtant des qualités jusqu’ici fantasmées comme surnaturelles, et enfin les machines de vision, extensions instrumentales de l’œil.
ENTRE ÉMERVEILLEMENT ET DÉSASTRE
Prenant souvent pour point de départ la vidéo, Laurent Grasso en fait découler des œuvres en deux ou trois dimensions. L’artiste mêle systématiquement les temporalités dans son travail, un moyen pour lui de construire sa propre « mémoire du futur », selon les termes de l’historien d’art Arnauld Pierre. Mises en regard avec des installations, ses œuvres éveillent ce sentiment d’unheimliche, l’inquiétante étrangeté formulée par Sigmund Freud en 1919 dans son ouvrage du même titre.
Dans un tableau imitant un genre particulier de l’histoire de l’art, l’artiste fait ainsi naître des motifs déroutants, comme celui du double soleil brillant dans un ciel de Claude Monet ou, plus loin, une peinture médiévale. Ces apparitions ont de troublant qu’elles semblent à la fois inoffensives et menaçantes, tel ce nuage issu de sa vidéo Anima (2022) flottant dans une toile de la Renaissance. Cette dichotomie est cruciale pour l’artiste : « Un thème important pour moi est celui des sentiments contradictoires, entre l’émerveillement et le désastre. »
Ce paradoxe entre angoisse et fascination, mais aussi réel et artifice, participe également à amener une réflexion sur l’état du monde. La vidéo Artificialis (2020), qui explore la nature à travers la perception humaine, donne par exemple à voir des glaciers autour desquels jaillissent des jets de flamme. Ses herbiers du futur présentent quant à eux des plantes mutantes apparues après un désastre hypothétique, qu’il paraît néanmoins difficile de reléguer au rang de chimère. Du postapocalyptique, ses œuvres nous amènent à penser notre ère « postAnthropocène ».
Time Travel est un catalogue raisonné particulier, qui réussit à nous transmettre l’univers de l’artiste sans en livrer trop de clés, respectant ainsi le mystère que Laurent Grasso tient à entretenir autour de son œuvre.
Denise Markonish et Arnauld Pierre, Laurent Grasso – Time Travel, New York, Rizzoli Electa, 2024, 256 pages, 75 dollars (82 euros).