Plateforme entre l’Europe et l’Amérique latine, la foire ARCOmadrid défend un marché bien plus vaste que la seule Espagne grâce à sa cohorte de galeries et de collectionneurs latinos qui plébiscitent de plus en plus la capitale hispanique. Qu’ils y aient déménagé, ou installé leurs collections, les plus grands sont passés la semaine dernière découvrir cette édition 2024, de la Cubaine Ella Fontanals-Cisneros à l’Argento-américain de Miami Jorge M. Pérez. D’innombrables représentants de fondations et de musées, notamment américains, de Chicago à Los Angeles, ont aussi arpenté les allées de cette vaste foire de plus de 200 exposants.
Le changement de dates, dû selon la directrice de la foire, Maribel Lopez, aux disponibilités de l’IFEMA, le centre des congrès et d’exposition de Madrid, et aux délais de construction de certains secteurs de la foire, n’a que peu affecté la fréquentation malgré le calendrier chargé – avec la Tefaf de Maastricht en même temps, et Art Dubaï et Frieze Los Angeles la semaine précédente. Plusieurs méga galeries disposant d’équipes nombreuses étaient présentes, telles Perrotin, Thaddaeus Ropac ou Lévy Gorvy Dayan avec un focus sur Francesco Clemente.
Les grands noms de l’art contemporain n’étaient pas absents comme Olafur Eliasson dont une suspension-miroir a été vendue « à une institution espagnole » par la galerie Elvira Gonzáles (Madrid) pour « moins de 500 000 euros » ; Peter Halley chez Senda (Barcelone) ou Elmgreen & Dragset avec un jeune joueur de tennis étendu épuisé sur le gazon du cours chez Helga de Alvear (Madrid). Ou encore certains projets spécifiques associés à la foire comme l’installation de l’Américano-nigériane Precious Okoyomon (qui représentera le Nigeria à la Biennale de Venise) dans le parc de Retiro, organisé par la Fondation Sandretto Re Rebaudengo avec Hans Ulrich Obrist.
Mais ARCOmadrid ne ressemble à aucune autre. Et surtout pas aux autres foires mainstream européennes ou labellisées comme Frieze ou Art Basel : le cœur de cet événement plein de fraîcheur, un brin foisonnant, reste la découverte et la scène hispanique et latino… Pour un tarif très raisonnable, les galeries peuvent y disposer d’un petit espace supplémentaire pour proposer une œuvre ou un focus, parfois de concert entre deux enseignes, comme c’était le cas cette année pour Madragoa (Lisbonne) et Chertlüdde (Berlin) avec le travail pop de Rodrigo Hernández.
Il est possible d’y faire des redécouvertes, à l’instar de la sculpture hyperréaliste de Rodrigo Muñoz Ballester représentant un homme habillé enlaçant un autre homme nu, sa main touchant le cœur de l’inaccessible bien aimé. L’œuvre avait déjà été présentée sur la deuxième édition de la foire… en 1983. Un mécène de la Tate de Londres l’avait acquise mais à son décès, son compagnon l’a restituée à l’artiste. La sculpture était l’un des clous de cette édition, proposée à 80 000 euros par la galerie José de la Mano (Madrid), qui consacrait un focus à des artistes femmes (plusieurs pièces acquises par le musée Reina Sofia de Madrid) et un autre à la scène homosexuelle sous Franco, un sujet encore difficile à montrer sur une grande foire espagnole, selon le galeriste.
Plus généralement, les questions des minorités dans toutes leurs diversités étaient à l’honneur de cette édition, avec entre autres Denilson Baniwa (galerie A Gentil Carioca, Rio de Janeiro, São Paulo) qui représentera le Brésil à la Biennale de Venise cette année ou Bruno Serralongue avec un travail photographique, cette fois historique, sur les révoltes des paysans du Chiapas au Mexique chez Air de Paris (Romainville). Une série éminemment actuelle sur la préservation du monde agricole et des ressources de la terre… La galerie française n’était pas revenue à ARCO depuis 2016 ! « Nous avons revu beaucoup d’amis et de connaissances du monde de l’art. Une foire, c’est un déclencheur pour des expositions à venir », confie Florence Bonnefous, qui montrait aussi notamment de grandes œuvres de Gaëlle Choisne, nommée au Prix Marcel-Duchamp 2024. Dans l’ensemble, le public est venu en nombre le week-end de fermeture et « ce ne sont pas que des "touristes", on ne peut pas baisser la garde », expliquait Eva Albarrán, de la galerie Albarrán Bourdais (Madrid). Le « clou » de son stand était une installation en céramique représentant un vol d’oiseaux par le Mexicain Héctor Zamora, remarqué avec une pièce similaire à la Biennale de Lyon en 2017 et proposée ici autour de 50 000 euros.
Si pour sa première participation-test, la 193 Gallery (Paris) est à peine « rentrée dans [ses] frais », faute d’artistes locaux ou régionaux, d’autres plus installées ont rencontré un franc succès. « Madrid est sur la carte, plus que jamais », confie Jérôme Poggi (Paris) pour sa 10e participation à la foire, avec un stand en trois sections dont une sur les artistes présents à la Biennale de Venise cette année. « Le travail de Joséfa Ntjam en particulier a eu beaucoup de succès et entre dans de très importantes collections à la veille de son projet vénitien soutenu par la fondation LAS et de son exposition chez LVMH Métiers d’art qui ouvre le 19 mars à Paris. Mais aussi pour Kapwani Kiwanga qui représentera le Canada à Venise », explique le galeriste.
Parmi les nombreux prix soutenant les achats sur la foire, le prix Emerige-CPGA (doté de 7 000 euros) a été attribué à la galerie Hatch (Paris) et à l’artiste Felipe Romero Beltrán pour ses vidéos consacrées à la frontière entre le Mexique et les États-Unis, le fleuve río Bravo, lieu de toutes les tentatives d’immigration. La jeune enseigne française a aussi vendu à des collections espagnoles ou latinos des céramiques de la Brésilienne Ayla Tavares. Une galerie et des artistes à suivre…