En Espagne, l’esprit de la Biennale de Venise dirigée par le Brésilien Adriano Pedrosa infuse l’édition 2025 d’ARCOmadrid. Luttes politiques, minorités, féminisme, environnement ou encore place et production des populations autochtones y sont plus que jamais à l’ordre du jour. Alors qu’aux États-Unis, la pression du gouvernement de Donald Trump sur les institutions culturelles s’accentue, au point que certaines universités demandent préventivement aux chercheurs de gommer de leurs CV des domaines qui pourraient désormais leur faire du tort, la plus grande foire espagnole d’art moderne et contemporain s’affirme bel et bien comme un libre espace d’expression. Ce qui n’est pas le moindre paradoxe quand on connaît le rôle joué par l’Espagne dans l’histoire de nombreux pays d’Amérique latine…
Cette année, un focus est consacré, avec l'exposition commerciale « Wametisé : Ideas for an Amazofuturism », à la place de la forêt amazonienne et de ses populations, à travers des œuvres apportées par 15 galeries. Elle est dans l’ensemble plébiscitée par les visiteurs. Comme à la Biennale de Venise, si quelques pièces se révèlent pauvres sur le plan purement formel, beaucoup d’autres sont percutantes. La galerie Danielian de São Paulo propose ainsi pour 25 000 dollars un ensemble de deux séries de cartes postales d’Anna Bella Geiger des années 1970, l’une représentant des Indiennes d’Amazonie que la dictature mettait alors en avant, et l’autre où l’artiste se représente elle-même. « L’une des artistes conceptuelles les plus importantes du Brésil », précise la galerie, Anna Bella Geiger est présente dans des collections muséales de premier plan, du Centre Pompidou à Paris au MoMA à New York.

Cartes postales d'Anna Bella Geiger, galerie Danielian. Photo A.C.
L’Instituto de Visión de Bogota et New York présente entre autres le travail de Mazenett et Quiroga qui reprennent les figures anciennes des Indiens mais avec un matériau contemporain, des cartes électroniques. L’Aura Galeria de São Paulo montre quant à elle un très beau portrait photo d’Indien par l’artiste Uyra, tandis que la galerie Almine Rech expose plusieurs peintures de Carlos Jacanamijoy hautes en couleur.
Non loin de là, le secteur Opening réservé aux jeunes galeries (qui espèrent ensuite intégrer le secteur principal) permet à la foire d’ouvrir le champ non seulement à la création émergente mais aussi à des scènes moins attendues à ARCOmadrid, qui reste principalement axée sur les artistes espagnols et latino-américains. Ainsi, la nouvelle co-curatrice d’Opening, Anissa Touati, a-t-elle sélectionné plusieurs enseignes venues d’autres horizons. L’ancienne directrice artistique d’Istanbul Contemporary a ainsi fait venir l’OG gallery d’Istanbul, en Turquie, qui montre entre autres les très beaux textiles de l’artiste (homme) Arda Asena. Mais également Brigitte Mulholland, qui a ouvert il y a un an à Paris et montre entre autres le travail de peinture travaillée en tricot d’Emma Roche à des prix autour de quelques milliers d’euros. Ou encore Selebe Yoon de Dakar, au Sénégal, avec notamment le travail textile de Mélinda Fourn, ainsi que la galerie iranienne Zaal Art Gallery x Parallel Circuit.

Œuvre d'Arda Asena sur le stand d'OG Gallery. Photo A.C.
Par ailleurs, Hatch (Paris), déjà présente l’an dernier, se distingue avec un solo show de Theresa Weber, dont les installations, costumes et panneaux mêlant des matériaux très variés explorent ses racines jamaïquaines. « Les liens historiques et culturels de l’Espagne ne se résument pas à l’Amérique latine, ils touchent aussi à l’Afrique et à la Méditerranée », confie Anissa Touati. Et d’ajouter : « Ce que j’aime à ARCO, c’est que c’est une foire européenne mais très ouverte au Sud, avec un discours différent des autres foires européennes, ce qui la rend intéressante, tant pour les visiteurs que pour les exposants, avec des discussions qui ne sont pas européocentrées », poursuit la curatrice, qui avait exposé à ARCOmadrid dans cette même section quand elle avait 20 ans et dirigeait alors une galerie…
Cette édition d’ARCO se déroule dans un contexte mondial économique et géopolitique pour le moins tendu. « La crise peut affecter certains top collectors, mais il existe beaucoup d’autres catégories de collectionneurs qui s’intéressent à des œuvres à différents niveaux de prix », explique Maribel Lopez, la directrice d’ARCOmadrid, qui note qu’environ la moitié des collectionneurs invités sont d’origines latino-américaine. Les collectionneurs espagnols, européens, latino-américains sont venus très nombreux au vernissage, le 5 mars. La galerie madrilène Albarrán Bourdais a cédé de nombreuses pièces dès la fin du premier jour à des collectionneurs espagnols et européens, entre autres de Christian Boltanski ou Héctor Zamora... « Les cinq plus gros collectionneurs de Colombie se sont retrouvés dans notre réserve sur le stand ! », confie la galerie. Toutefois, un plafond de verre subsiste à ARComadrid. « Seuls quelques Espagnols dépensent plusieurs millions pour une œuvre d’art, et ils achètent généralement sur d’autres foires à l’étranger, d’où un plafond d’achat moyen autour de 100 000 euros, glisse le conseiller d’une très grosse collection espagnole. Les méga-galerie font en général un essai, et seules quelques-unes reviennent ». Telle Thaddaeus Ropac, qui fait figure d’exception et a déclaré avoir vendu une œuvre de Daniel Richter pour 420 000 euros et une autre d’Antony Gormley pour 550 000 livres.
Le succès d'ARCOmadrid s'explique certainement par la présence de nombreux représentants de musées américains, sud-américains, européens et de collectionneurs, dont des membres de l’Adiaf plutôt actifs. « Nous avons rencontré plusieurs clients hollandais », explique la galerie Double V de Marseille, qui a bénéficié de beaucoup d’intérêt, notamment pour les œuvres séduisantes de Manoela Medeiros. Le succès d’ARCO repose aussi sur les prix remis cette semaine sur la foire par des collectionneurs ou des fondations. Xie Lei, nommé pour le Prix Marcel-Duchamp 2025, a vu une de ses œuvres acquise par le collectionneur Armando Martins pour son tout nouveau musée lisboète, le MACAM, qui ouvrira ce printemps au Portugal et intègrera ainsi une œuvre de l’artiste, présentée à ARCOmadrid par Meessen (Bruxelles). Quant à Mathilde Denize, exposée à la foire par Perrotin, elle a remporté le Prix Emerige-CPGA dédié au soutien d’artistes de la scène françaises, et doté de 8 000 euros à partager avec la galerie. « Nous soulignons ainsi l’engagement de la galerie Perrotin à soutenir des jeunes artistes – elle soutient ainsi Mathilde Denize depuis plusieurs années déjà –, et pour son travail très personnel qui dépasse le cadre de la peinture », confie Paula Aisemberg, qui représentait le Fonds de dotation Emerige.
ARComadrid, jusqu'au 9 mars 2025, IFEMA, Madrid, Espagne