Le maître de la Renaissance Michel-Ange (1475-1564) n’avait pas 30 ans lorsqu’il a achevé sa sculpture monumentale David (1504), miraculeusement ciselée à partir d’un unique bloc de marbre de Carrare d’abord considéré comme irrécupérable. Il n’avait qu’une trentaine d’années lorsqu’il acheva, presque seul, l’immense plafond peint à la fresque de la chapelle Sixtine au Vatican. Mais Michel-Ange a vécu jusqu’à 88 ans, et il a continué à travailler – dans une certaine mesure, à une échelle encore plus grande – jusqu’à la fin de sa vie.
Une exposition au British Museum à Londres se penche sur la dernière période de Michel-Ange, à partir de son retour de Florence à Rome en 1534, à l’âge de 59 ans. C’est à ce moment qu’il achève Le Jugement dernier, l’imposante fresque du mur d’autel de la chapelle Sixtine, et qu’il remodèle la Rome papale grâce à une série de projets architecturaux qui marquent encore la ville. « Michelangelo : the last decades » évoque l’état d’esprit de l’artiste et ses principales relations durant le dernier tiers de sa vie, à travers une cinquantaine de ses dessins et plus de 50 œuvres d’art et objets.
La force de l’exposition réside dans la tension entre l’angoisse intérieure de Michel-Ange, qui culmine dans ses dessins très tardifs de la crucifixion, et les liens qu’il entretient avec quelques amis et collaborateurs proches. Ces aspects se retrouvent dans l’œuvre située à l’entrée de l’exposition, un portrait de l’artiste par son compatriote toscan Daniele da Volterra. Prêté par le Teylers Museum de Haarlem, le dessin est loin d’être idéalisé, le célèbre nez aplati de Michel-Ange, cassé lors d’une bagarre alors qu’il était adolescent, servant de point focal à une représentation qui suggère à la fois l’agitation et la taciturnité.
Cette première section évoque Le Jugement dernier avec des dessins préparatoires et une grande projection en couleur de la fresque complète. Des œuvres telles que L’Étude d’un ange et d’autres figures pour le Jugement dernier ne sont pas dénuées d’une dimension sexuelle dans leurs représentations franches de la beauté masculine. Mais Sarah Vowles, commissaire de l’exposition, affirme que « ce n’est pas ce dont il est question ici ». Selon elle, la fresque, dont les nombreux nus masculins ont scandalisé le clergé au XVIe siècle, traite « le corps humain comme l’œuvre de Dieu », et non comme un objet « explicitement conçu pour susciter le désir ».
L’exposition se penche également sur l’attachement profond de Michel-Ange à Tommaso de' Cavalieri, le beau noble italien que l’artiste a rencontré au début des années 1530. Bien que résolument romantique, voire obsessionnel, l’amour de Michel-Ange pour ce dernier n’était probablement pas consommé, affirme Sarah Vowles. Les commissaires ont également conçu une section entière autour de l’amitié plus spirituelle de Michel-Ange avec une autre personnalité de haut rang : la poétesse et femme noble Vittoria Colonna. Ils montrent ici un chef-d’œuvre du British Museum, Le Christ en croix (1538-1541), un sublime dessin de dévotion réalisé pour Vittoria Colonna. Les nombreux dessins monochromes sont contrebalancés par des peintures colorées réalisées en collaboration, comme La purification du temple (vers 1550-1555) de Marcello Venusti, d’après une composition du maître. L’exposition comprend trois dessins de Michel-Ange qui représentent la figure du Christ.
Les dernières commandes architecturales de Michel-Ange lui ont vraiment « pesé », selon Sarah Vowles. Peu après son retour à Rome, il reconfigure le palais Farnèse, conçu à l’origine par un autre Toscan, Antonio da Sangallo le Jeune. En ajoutant un étage et sa grande corniche caractéristique, il a créé ce qui est devenu la plus influente itération d’un palais de la Haute Renaissance. Le bâtiment est représenté dans l’exposition par une exquise étude de fenêtre prêtée par l’Ashmolean Museum d’Oxford. Parallèlement, le travail de Michel-Ange sur la basilique Saint-Pierre de Rome, qui a duré des décennies et n’a été achevé qu’après sa mort, est représenté par un autre dessin du Teylers Museum, Études pour le dôme et la lanterne de Saint-Pierre.
Au fur et à mesure qu’il vieillissait et devenait infirme, Michel-Ange a été de plus en plus attiré par l’image du Christ en croix. Certains de ses dessins les plus connus, les plus admirés, mais peut-être aussi les moins bien compris, sont ces crucifixions sur papier réalisées dans les dernières années de sa vie. Fait remarquable, six d’entre eux font partie de l’exposition, dont deux sont prêtés par la Collection royale britannique. Les spécialistes travaillent encore à leur interprétation.
Vittoria Colonna a fait partie d’un cercle de chrétiens réformateurs, dont certains ont fait l’objet d’une enquête de l’Inquisition. La fascination croissante de Michel-Ange pour le salut par la grâce a conduit certains à se demander s’il n’y avait pas une teinte de protestantisme dans ses croyances, y compris dans ces crucifixions, qui sont profondément méditatives et intensément privées. « Pour moi, Michel-Ange n’était pas protestant », affirme Sarah Vowles. Bien que les dessins tardifs « utilisent les Écritures comme ressort pour la contemplation », comme le préconisaient les nouveaux réformateurs protestants, ils ne remettent pas en cause le fait que l’artiste allait à la messe ou prêtait attention aux sacrements. D’ailleurs, ajoute-t-elle, « il travaillait pour le pape ».
« Michelangelo : the last decades », du 2 mai au 28 juillet 2024, British Museum, Londres.