« Notre ange », voilà comment Alexander Kellner, le directeur du musée national de Rio de Janeiro, qualifie celle qui œuvre fidèlement et généreusement sans relâche depuis près de quatre ans pour reconstituer la collection du musée partie en fumée dans le terrible incendie accidentel de septembre 2018.
Lorsque Frances Reynolds découvre avec émotion en direct les images effroyables du musée en flammes, elle est bouleversée. Quand elle comprend l’ampleur des dégâts, elle décide d’agir. C’est la première personne dans le secteur privé à s’engager alors de la sorte. Le plus grand musée d’histoire naturelle d’Amérique latine, qui venait de fêter son bicentenaire, a malheureusement perdu 85 % de sa collection, soit 20 millions de pièces. C’est colossal. Le bâtiment est par terre, les programmes de recherche scientifique aussi. Pour cette Argentine de naissance mais passionnément Carioca de cœur depuis plus de 25 ans, qui a exercé des postes importants chez Warner Brothers ou Orion Pictures avant d’épouser un héritier du groupe de presse Globo, son engagement est alors, dit-elle, « une responsabilité sociale, une obligation patriotique ». Les 90 millions d’euros nécessaires à la reconstruction du bâtiment vont probablement être couverts par des entreprises privées basées au Brésil bénéficiant de la loi Rouanet d’incitation fiscale en faveur de la Culture – la moitié de la somme a déjà été levée. Toutefois, la collection elle-même ne pourra se reconstruire sans l’aide internationale.
Quelle meilleure ambassadrice que celle qui siège depuis des années dans les conseils des plus belles institutions au monde – MoMA à New York, Tate Modern à Londres, Centre Pompidou à Paris, Serpentine Galleries à Londres, Biennale de São Paulo, musée d’art de São Paulo (MASP) et l’Instituto Tomie Ohtake, également à São Paulo, pour n’en citer que quelques-unes ! Son carnet d’adresses est immense, son réseau international très vaste, sa détermination sans faille et son engagement, total. Mobiliser les institutions publiques et privées, les fondations et les collectionneurs privés du monde entier, les convaincre de faire des dons ou des prêts au musée de Rio : telle est la tâche à laquelle s’est attelée Frances Reynolds. Celle que l’on a l’habitude de croiser dans les allées d’Art Basel, de Frieze et dans l’atelier de Maxwell Alexandre fréquente aussi désormais le musée égyptien du Caire, le musée d’archéologie de Thessalonique et les séminaires internationaux de muséums d’histoire naturelle à Madrid ou à Stockholm. Elle y accompagne Alexander Kellner et finance la logistique des tournées mondiales, ainsi que de nombreux dîners très courus mais surtout très mobilisateurs. Elle fait bien sûr partie des 3 000 bienfaiteurs qui ont effectué des dons au musée de Rio (7 000 pièces au total) mais sa générosité ne s’arrête pas là. En plus de son Instituto Inclusartiz fondé en 1997 pour les artistes émergents à travers des résidences d’artistes à Rio, elle consacre aujourd’hui la moitié de son temps au musée national de Rio.
Et ça marche ! Un don inestimable de 1 104 fossiles de la collection du suisse alémanique Burkhard Pohl a intégré officiellement la semaine dernière les collections du musée de Rio grâce à elle. Aux fossiles de plantes et d’insectes s’ajoutent ceux spectaculaires de dinosaures – dont deux inédits d'une très grande valeur scientifique – et d’un fossile unique très connu de serpent (Tetrapodophis), sans doute le premier serpent connu. C’est le résultat de deux ans de travail acharné et des dizaines d’allers-retours entre l’Allemagne où étaient conservées les pièces, le Brésil où elle vit et les États-Unis, où la famille Pohl possède depuis 1995 le Wyoming Dinosaur Center à Thermopolis. Plusieurs spécimens de ce groupe, pas encore publiés, devraient faire l’objet de recherches. Pour Frances Reynolds, « la mission va au-delà de la reconstruction de la collection. L’important, c’est aussi d’avoir une collaboration scientifique, ce qui permet d’envoyer des étudiants brésiliens ou des employés du musée faire de la recherche dans d’autres centres », nous confie-t-elle.
La donation marque le début d'une longue collaboration (fouilles, publications, recherches) entre le musée de Rio et le groupe Interprospekt, du nom de l’entité créée en 1990 par la famille Pohl. Tous espèrent que cette donation va en susciter d’autres. Car, comme disait la grand-mère de Frances Reynolds, « quand on a des bijoux, on les partage ». Le prochain exploit ? Le manteau ancestral Tupinamba qui devrait bientôt quitter le Musée national du Danemark, où il était conservé depuis 1689, et entrer dans la collection du musée de Rio. Frances Reynolds est réaliste : son engagement continuera après la réouverture du musée prévue en avril 2026.
Sa mobilisation pour bâtir une nouvelle collection complète celle des étudiants de l’Université fédérale de Rio de Janeiro qui se battent pour que l’ancienne, partie en fumée, ne soit pas oubliée. Leur appel lancé sur les réseaux sociaux dès le lendemain de l’incendie et qui visait à reconstituer virtuellement l’ancienne collection est toujours d’actualité. Des milliers de photographies d’œuvres disparues ont ainsi pu être récoltées sur Wikipédia, partenaire de l’opération. Pour ces futurs muséologues, il est primordial d’agir pour que cet héritage ne soit pas détruit à deux reprises : une fois par le feu et une autre par l’oubli.