Présentée du 20 juin au 15 septembre 2024 à l’Instituto Tomie Ohtake à São Paulo, l’exposition« Calder + Miró »explore sous un angle nouveau l’œuvre des deux géants du XXe siècle et l’empreinte qu’ils ont eu sur les artistes brésiliens dans les années 1950, à une période de transformation profonde des arts visuels au Brésil et de montée de l’abstraction.
L’exposition d’envergure internationale – 150 pièces parmi lesquelles des peintures, des dessins, des gravures, des sculptures, des mobiles, des stabiles, des modèles, des éditions, des photographies, des bijoux et des textiles (dont certains jamais montrés au Brésil) – a la particularité que toutes les œuvres prêtées proviennent uniquement du Brésil. Le sculpteur moderne américain et le peintre surréaliste espagnol sont très largement collectionnés par les institutions publiques du pays et les collectionneurs privés brésiliens depuis les années 1950. Depuis que Calder a commencé à venir au Brésil à l’invitation du critique d’art Mário Pedrosa et de l’architecte Henrique Mindlin pour y exposer dans des lieux prestigieux, à une époque où le conflit entre les arts figuratif et abstrait battait son plein dans les arts plastiques brésiliens : en 1948, à Rio, dans le bâtiment moderniste emblématique du ministère de l’Éducation et de la Santé conçu par Lucio Costa, Le Corbusier avec la participation d’Oscar Niemeyer ; en 1951, à la première Biennale de São Paulo ; en 1953, à la Biennale do Quarto Centenario dans l’un des espaces conçus par Oscar Niemeyer ; en 1959, au Musée d’art moderne de Rio puis au Musée d’art de São Paulo (MASP), invité pendant plus d’un mois dans la résidence du couple Lina Bo Bardi et Pietro Maria Bardi, la « maison de verre ». Miró, quant à lui, n’est jamais venu au Brésil mais son amitié très forte depuis 1947 avec le poète brésilien João Cabral de Melo Neto souligne ses liens avec ce pays.
Organisée par un groupe solide de quatre commissaires mené par Max Perlingeiro et Paulo Venâncio Filho, l’exposition est une version enrichie de celle montrée en 2022 à Rio à la Casa Roberto Marinho. Aux deux salles consacrées aux œuvres respectives de Calder et Miró s’ajoutent des espaces imaginés par Roberta Saraiva Coutinho – la grande spécialiste de Calder au Brésil –, et par Valeria Lamego : des dialogues entre les deux artistes occidentaux et avec des artistes brésiliens ; leur lien ou collaboration avec l’architecte Oscar Niemeyer, des poètes et des écrivains brésiliens ; une sélection d’œuvres d’artistes brésiliens de premier plan influencés directement ou indirectement par les productions de Calder et Miró, tels Abraham Palatnik, Arthur-Luiz Piza, Antônio Bandeira, Hélio Oiticica, Lygia Clark, Mira Schendel, Oscar Niemeyer ou Tomie Ohtake. Un atelier ouvert au centre de l’exposition invite le public à expérimenter les matières, les couleurs et les formes, rappelant l’éducation expérimentale des artistes modernes, notamment de Calder et Miró.
L’exposition s’inscrit parfaitement dans la programmation de l’Instituto Tomie Ohtake, connu pour aborder des sujets nouveaux, mettre en lumière des recherches inédites et embrasser des publics différents. L’approche choisie ici reflète l’esprit incroyablement libre et indépendant de l’artiste japonaise (naturalisée brésilienne) arrivée à São Paulo en 1936 de son Kyoto traditionnel et devenue l’une des principales représentantes de l’abstraction informelle au Brésil. Comme nous le confie le directeur artistique de l’Instituto, Paulo Miyada, « Tomie Ohtake aborde l’art moderne non pas comme un dogme ou un ensemble de règles rigides, mais comme un terrain de jeu, un espace ouvert qui pourrait être réinventé chaque jour, ce qui est aussi la façon dont Calder et Miró ont abordé l’art moderne ».
Même si tout jouait contre elle à l’époque – elle a déjà 39 ans quand elle commence à peindre, est mère de deux enfants et immigrante japonaise, dont le pays était ennemi dans les années 1940 –, cette artiste de la diaspora a su profiter intelligemment de la vague moderniste brésilienne des années 1950 et faire partie de cette génération conquérante et inspirée qui se réinvente alors dans tous les domaines (arts visuels, architecture, football, musique bossa-nova et cinéma nova).