Le site majestueux, situé dans un des plus beaux parcs de la capitale belge, a été quelque peu laissé de côté. Il mériterait plus de visibilité, d’accessibilité, une rénovation et la création d’espaces conviviaux, en somme de bénéficier d’une nouvelle dynamique et d’une réelle synergie entre trois des plus importants musées belges occupant les lieux : le musée royal d’Art et d’Histoire et celui de l’Armée et d’Histoire militaire sont des musées fédéraux; le troisième, l’Autoworld, dédié à l’histoire de l’automobile, est privé, et ses expositions temporaires consacrées aux grandes marques du secteur séduisent un large public. Située sur l’esplanade bordée par les arcades du Cinquantenaire, sa vaste halle fait face à sa sœur jumelle, qui abrite le Hall de l’aviation, section des plus spectaculaires du musée de l’Armée.
Dans la perspective de ces prochaines célébrations en 2030, le dernier gouvernement a tenté de redorer le blason du site, le modernisant et le transformant en un pôle muséal élargi, susceptible d’attirer un million de visiteurs annuels. Les trois établissements précités accueillent environ 350 000 personnes, en fonction des expositions proposées. À l’exception de l’Autoworld, on est loin d’une programmation aussi dynamique que celle des institutions du centre-ville, comme le Palais des Beaux-Arts et les Musées royaux des beaux-arts de Belgique, ou le musée Magritte, au succès jamais démenti. L’enjeu est de rééquilibrer les offres entre ces deux pôles culturels majeurs.
L’État s’est engagé à hauteur de 160 millions d’euros (dont 88 millions assurés rapidement pour rénover les édifices), s’appuyant sur l’expertise de deux structures officielles, la régie des bâtiments (le gestionnaire immobilier de L’État fédéral) et Beliris (accord de coopération entre l’État fédéral et la Région bruxelloise, visant à développer les moyens de Bruxelles et lui assurer son double statut de capitale belge et européenne).
DES CHANTIERS AMBITIEUX
Le défi est ambitieux, et plusieurs chantiers sont prévus. Il s’agit, entre autres, de créer deux entrées monumentales dans la rue de la Loi, sur le chemin venant du centre-ville, de façon à mieux identifier les Musées royaux d’art et d’histoire d’une part, celui de l’Armée de l’autre. Parmi les projets figure aussi la création de deux nouvelles entrées pour ces mêmes musées, dans les angles formés par les arcades, qui les rendront plus accessibles et permettront au public de profiter du panorama à 360° sur la terrasse qui les surplombe. Probablement dans un deuxième temps, après 2030, il est prévu d’aménager l’espace souterrain déjà existant, sous la grande esplanade, en une entrée commune qui donnerait accès simultanément aux trois musées. On disposerait là d’une vaste agora souterraine qui pourrait donner une autre vie et une autre dynamique à l’ensemble du site, cette fois du côté de l’avenue de Tervueren. Le quatrième chantier concerne la rénovation du parc et de ses abords : des édifices importants comme le pavillon des Passions humaines du sculpteur Jef Lambeaux, commandé par Victor Horta, ou l’ancien monument circulaire construit en 1897 et qui abritait l’immense toile du Panorama du Caire du peintre Émile Wauters. La toile a disparu, et le bâtiment a depuis été transformé en mosquée. Le plus gros point d’interrogation reste l’autoroute urbaine passant sous l’ensemble du site. Ses trémies d’accès vers la rue de la Loi ont empiété sur le parc et l’ont partiellement coupé en deux. On ignore encore si cette cicatrice pourra être intégralement recouverte ou si un passage entre ces deux rives sera construit.
LA FRONDE AU MUSÉE DE L’ARMÉE
La célébration de ce bicentenaire nécessitait également un vaste lieu permettant d’organiser réceptions, conférences, expositions et autres manifestations. Les décisionnaires ont jeté leur dévolu sur une des plus belles constructions du site, la majestueuse halle Bordiau (du nom de son architecte, Gédéon Bordiau, qui l’a réalisée vers 1880). Cette halle faisant intégralement partie du musée de l’Armée et d’Histoire militaire a été rénovée il y a à peine cinq ans. Elle abrite une remarquable exposition permanente consacrée à la Belgique et à l’Europe pendant et immédiatement après la Seconde Guerre mondiale. Si la présentation des autres collections militaires du musée semble dater (quoiqu’étant représentative d’un certain état d’esprit de l’époque), l’exposition consacrée à la période 1939-1945 bénéficie d’une scénographie judicieuse, des plus contemporaines. En abordant l’occupation et la libération de la Belgique (1940-1944), la fin de la guerre en Europe et en Asie (1944-1945), ainsi que les politiques de répression, de persécution et le génocide menés par les nazis (1933-1945), elle constitue une des meilleures évocations qui soit de cette période dévastatrice pour l’Europe; par ailleurs, elle n’est pas sans écho à notre actualité la plus immédiate. Dépassant le simple contexte de l’histoire militaire, elle s’attarde sur les conséquences sociales, politiques, économiques et humaines de la guerre, en proposant au visiteur un tableau historique et scientifique nuancé.
Le gouvernement a étonnamment décidé de démonter cette exposition permanente, de la mettre en réserve le temps des célébrations du bicentenaire pour la réinstaller par la suite, une opération dissipant quelques doutes sur sa réalisation véritable. La désapprobation des responsables de l’institution et les multiples réactions défavorables à ce projet assez incompréhensible ont engagé une pétition rassemblant déjà près de 40000 signatures au moment d’écrire ces lignes.
L’association Horizon 50-200, créée pour piloter cette revalorisation du Cinquantenaire, coordonne tous les projets et les visions des différents partenaires de ce mille-feuille institutionnel, constitué par la Région de Bruxelles. Désormais en de bonnes mains, elle est dirigée depuis peu par Bruno van Lierde, fondateur du bureau de Bruxelles du Boston Consulting Group et collectionneur avisé d’art contemporain. Pour lui, « il s’agira d’opérationnaliser et de concrétiser avec tous les acteurs les orientations définies par le gouvernement. Et de travailler de manière apaisée avec eux tous, y compris le musée de l’Armée, dans l’intérêt commun du Cinquantenaire et du bicentenaire *1 ».
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*1 Entretien paru le 6 juin 2024 dans La Libre Belgique.