Il est admis que le Pop art est né en Angleterre. C’est un collage de 1956 de Richard Hamilton qui le dit. L’œuvre représente un intérieur moderne avec une pin-up montrant ses seins sur un canapé et un type bodybuildé qui bande ses muscles en tenant une sucette géante sur laquelle est écrit le mot « pop ». Voilà pour l’histoire.
Accroché en ce moment au Musée d’art de Pully, un collage de l’artiste britannique Eduardo Paolozzi de 1948 recule cette invention de quelques années et, partant, remet en cause celui qui en serait à l’origine. Tout y est : une voiture, un paquet de cigarettes, un frigidaire, des personnages de BD découpés et collés les uns sur les autres. Il n’y a pas le mot « pop » mais dans l’esprit, c’est tout comme. « Nous voulions montrer que les prémices de ce mouvement apparaissent déjà juste après la guerre. Et qu’il n’a pas été créé dans les années 1950 en Angleterre, ni plus tard aux États-Unis », explique Yan Schubert, conservateur de la Fondation Gandur pour l’Art et commissaire de cette exposition avec Victoria Mühlig, conservatrice du musée vaudois.
C’est la deuxième fois que l’institution s’associe à la fondation pour présenter une partie de la collection de cette dernière. Après un accrochage consacré aux œuvres abstraites des années 1950, plus de 80 œuvres mettent en lumière la figuration narrative. Manière aussi de montrer l’éclectisme de Jean Claude Gandur qui collectionne également les antiquités égyptiennes, l’ethnologie, la peinture africaine contemporaine et le mobilier français du XVIIIe siècle.
Le point commun entre tous ces ensembles ? Celui qui les constitue prend rarement le sens du vent. Ce qui se traduit par un goût pour les artistes et les mouvements restés dans les marges de l’histoire. Et qui parfois, finalement, sortent de l’ornière. C’est le cas de l’abstraction lyrique. Pas encore de la figuration narrative, mouvement européen mais principalement français, actif dans les années 1960 et qui faisait du Pop art, mais sans, surtout, vouloir le dire. « Ce qui va desservir ses artistes, reprend Yan Schubert. La figuration narrative étant nettement moins vendeuse que le Pop art. »
Une aubaine pour le collectionneur, qui peut ainsi se constituer de beaux ensembles alors que le marché regarde ailleurs. « J’ai grandi avec ces œuvres qui passent sous les radars, explique Jean Claude Gandur. Quelques musées commencent à montrer de l’intérêt pour cette période. Je pense que c’est le rôle du collectionneur de remettre à l’honneur ces peintres qui ont écrit l’histoire de l’Europe, surtout après la guerre. » De quoi découvrir, ou redécouvrir, quelques pépites comme les gros plans de femmes qui s’ennuient de Gérard Schlosser, les visions urbaines de Christian Babou qui fait du Julian Opie avant l’heure, les objets du quotidien du Bernois Peter Stämpfli ou les peintures de chantier de la Neuchâteloise Emilienne Farny.
L’exposition permet aussi de constater que ce pop décalé n’abolit pas toujours la peinture abstraite de son époque. Enlevez les images d’ampoules, de sourire Pepsodent et de lavabo de Peter Klasen et vous aurez une toile minimale. Observez les bandes que Balder associe avec des compotiers et des visages très warholiens et vous leur trouverez un air de Buren.
Il y a quand même trois ou quatre stars dans cet accrochage haut en couleur. À part Eduardo Paolozzi, la collection possède également des toiles de Erró, une paire de jambes féminines avec talons aiguilles assortis d’un Allan Jones en début de carrière, une série de Jacques Monory typique (donc bleu piscine), des Peter Saul provocateurs et des Gérard Fromanger cinématographiques.
Et puis, il y a les stars un peu oubliées comme Hervé Télémaque, représenté par plusieurs grandes compositions, dont ce tableau de 1965 dénonçant l’occupation d’Haïti, son île natale, par les troupes américaines. Pour dire aussi que la figuration narrative se distingue par sa dimension politique et révolutionnaire. On le voit encore dans cette toile d’Ivan Messac de 1970 qui condamne la guerre du Vietnam. Jean Claude Gandur observe longuement la petite fille frêle du tableau portant son drapeau : « On dirait un Banksy, non ? »
« Figuration narrative, un autre langage pop », jusqu’au 15 décembre 2024, Musée d’art de Pully, ch. Davel 2, 1009 Pully, Suisse.