Liv Schulman : Un circulo que se fue rodando
Liv Schulman a tourné son plus récent film, Un Circulo que se fue rodando (littéralement : un cercle parti en roulant), en décembre 2023 dans le Microcentro à Buenos Aires, un quartier d’affaires et de boutiques. Il est composé de cinq plans très habilement enchaînés et suit tour à tour une quarantaine de personnes engagées dans des conversations à deux, trois, quatre ou un peu plus. La caméra accompagne un temps ces parleurs avant de les abandonner pour d’autres qu’elle semble saisir au vol, mais les mots s’entendent encore parfois quand ceux qui les prononcent ont quitté le champ. On navigue entre un faux cinéma vérité et la captation d’une grande performance pensée à l’échelle de tout un quartier.
Les conversations sont généralement absurdes, nourries de psychanalyse et de vraies ou fausses théories scientifiques. L’une des phrases prononcées au début – « la dette, c’est comme la monogamie, on te l’impose » – donne un peu le ton. Il est question de symptômes et de syndromes, quelqu’un parle d’une croix gammée apparue sur sa dent, quelqu’un d’autre du symbole du dollar glissé sous sa peau. On a à peine le temps d’entrer dans une histoire, d’essayer d’interpréter les métaphores qu’on est emmené dans une autre. C’est virevoltant et très virtuose. Pour ajouter à la polyphonie, les parleurs et ceux qu’ils croisent portent des T-shirts avec des messages de résistance imprimés, et sous l’écran de projection un panneau led fait défiler un texte additif. En rapport avec son film, Liv Schulman présente des objets bricolés, des gris-gris, des T-shirts et des ballons gonflés à l’hélium qui prolongent l’univers hypnotique et chaotique du film.
Du 12 octobre au 23 novembre 2024, Galerie Anne Barrault, 51, rue des Archives, 75003 Paris
Genesis Tramaine : Sweet Jesus !
Genesis Tremaine se définit comme « a devotional artist », c’est-à-dire que son activité est guidée par sa foi. Sa vision de la religion est libre et ouverte. Elle peint à l’acrylique et au pastel à l’huile mais, dans les spécifications techniques, elle ajoute : l’esprit saint, l’énergie utérine, le sel et l’eau de pluie. Ses œuvres figurent essentiellement des portraits ou des doubles portraits de saints noirs. Ce sont de très grands ovales tracés d’un trait noir sur un fond monochrome, et à l’intérieur de ces ovales, figurent de gigantesques bouches, à doubles ou triples mâchoires, pleines de dents, sous une foule d’yeux et sans présence d’aucun nez. Avec ces bouches où mots et chants doivent se bousculer, et, avec ces yeux tournés vers nous ou vers le ciel, l’artiste donne dans un style proche du graffiti une vision inédite et percutante de l’extase. Sur un des bords de la toile, elle a écrit des phrases empruntées à des versets de la Bible ou des principes de vie qui nous renseignent sur son sentiment au moment de peindre. Oublions nos automatismes quand il s’agit d’aborder le rapport du texte à l’image, et prenons ces mots comme une incitation à faire parler de quelque façon ces figures.
Du 12 octobre au 16 novembre 2024, Galerie Almine Rech, 64, rue de Turenne, 75003 Paris
Sylvia Snowden : Inside The White Cube
Sylvia Snowden peint depuis la fin des années 1960 des portraits de gens de son entourage dans une manière qu’elle qualifie d’expressionnisme abstrait figural et structurel. Les dix tableaux réunis pour cette première exposition française appartiennent tous à la série M Street, du nom d’une rue du quartier Shaw à Washington. C’est à Shaw, autrefois haut lieu de la culture afro-américaine, que l’artiste est venue s’installer à la fin des années 1970.
Les figures de Snowden s’étendent sur toute la surface du support comme pour en prendre la mesure et, peut-être, en repousser les limites. Avec Chaïm Soutine, Oskar Kokoschka ou Karel Appel, tous artistes qui l’ont marquée, elle partage le goût de l’impasto mais son expressionnisme est d’une autre nature. Avec l’acrylique qu’elle étale en couches très épaisses et retravaille au pastel à l’huile, elle donne une véritable existence picturale au sujet inspirateur. Snowden dit qu’elle dévoile « les tripes de ses sujets » et les peint « sans emballage ».
Dans un fascinant triptyque, elle a peint trois fois la figure de sa mère en trois poses assise. Le corps est construit sur un dense réseau de hachures noires comme tracées à l’encre et sur lui dansent quelques serpentins de couleur vive. C’est comme si l’artiste ne parvenait pas à trouver assez de traits et de rehauts pour peindre toute la force et l’énergie qu’elle voit dans son modèle. L’effet est proprement électrique.
Du 15 octobre au 16 novembre 2024, White Cube, 10 avenue Matignon, 75008 Paris
Bob Smith : From Space Countries Have No Borders
Né dans le Massachusetts, Bob Smith (1944-1990) a commencé sa carrière artistique par un long séjour en Europe et au Maroc avant de se fixer à New York en 1977. Au sein d’un groupe d’artistes et de poètes, Larry Rivers et Taylor Mead notamment, il se tint un peu à distance du monde de l’art. L’exposition présente quelques collages, peintures et boîtes. Ces dernières rappellent un peu Joseph Cornell avec lequel Smith partage le goût de la collection et de l’assemblage minutieux, mais ses références sont tout autres et l’humour y tient une grande place. À côté d’un goût avéré pour l’Orient et d’un autre pour la science-fiction, il manifeste une attention aux fonds de tiroirs et aux petites choses qu’il manipule avec une ironie légère. Ainsi dans une de ses boîtes, ARTT, il montre du doigt les liens de l’art et du monde de l’entreprise en associant l’image d’immeubles de bureaux avec une poignée de dollars détruits à la broyeuse à papier.
Dans ses tableaux de Sleepers, des polyptyques, Smith a peint des amis endormis chez eux ou des anonymes sur des bancs publics. Il leur associe parfois des images de ses propres rêves ou de ceux qu’il imagine pour eux. Deux diptyques d’endormis de bancs publics portent un morceau de cadre en bois sur lequel est écrit « wooden bench », comme s’il s’agissait de se situer un peu en marge à l’intérieur du cube blanc. Bob Smith fait passer quelque chose d’un esprit bohème à l’intérieur de son domaine marqué par l’art conceptuel et l’underground.
Du 14 octobre au 21 décembre 2024, Emanuela Campoli, 4 & 6 rue de Braque, 75003 Paris