De l’art vidéo à la performance, les pratiques contemporaines font souvent et diversement usage de la voix, avec tout ce qu’elle véhicule de présence corporelle et de distance, voire d’absence, mais aussi d’identification, de situation, de mémoire, d’émotion et d’affect. D’exposition en exposition, ses potentialités s’éprouvent physiquement, autant que la difficulté à composer avec elle, et ses multiples mises en œuvre contribuent activement à caractériser ce qui fait aujourd’hui l’expérience sensorielle et psychologique de la visiteuse ou du visiteur.
LA VOIX AU CROISEMENT DES DISCIPLINES
En une quinzaine de contributions émanant d’artistes (Lawrence Abu Hamdan, Emma Dusong), de philosophes (Barbara Formis, Marianne Massin), d’historiens (Arlette Farge, Philippe Artières), de chercheurs, commissaires d’exposition ou critiques (Françoise Parfait, Mathilde Roman), cet ouvrage dirigé par Christophe Viart et Marwan Moujaes n’apporte pas seulement une multiplicité d’éclairages sur le travail de la voix, entre pratique et théorie, explorant quelques-unes des facettes de ce matériau diffus et pourtant plastique, mais déploie aussi ce que peut construire le dialogue entre ces différentes approches. Et ce que permettent les changements de focale : depuis des études centrées sur des œuvres telles Intervista d’Anri Sala, Deep See Blue Surrounding You de Laure Prouvost ou quatre courts métrages réalisés par Marguerite Duras en 1979, à des analyses portant sur la disjonction dans le cinéma de Gil Joseph Wolman ou les rapports de la voix à l’identité, en passant par des réflexions ancrées dans l’expérience personnelle : perte de la voix pour Françoise Parfait ou découverte de la sienne au fil de différents types de prises de parole publiques pour Philippe Artières. Avec un aperçu des recherches qu’Arlette Farge a menées sur « la voix au XVIIIe siècle dans les classes populaires », la profondeur historique de la question est amenée – à partir même de ce « monde silencieux des archives » qui forme « l’un des points aveugles du passé que l’historien travaille » (Philippe Artières) –, tandis que Karla Calvino Carbajal en propose une lecture comparatiste entre Amérique latine et France, entre les XIXe et XXIe siècles. Les points d’entrée et les perspectives sont donc variés, riches, et donnent à la voix sa pleine mesure, entre ce que l’on a perdu et ce qui reste, entre ce qu’elle contient et ce qu’elle ajoute au sens des mots, entre activation de l’espace, « phénomène de l’être » (Barbara Formis) et façon de « fabrique[r] des événements » (Arlette Farge).
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Marwan Moujaes, Christophe Viart (dir.), Les Œuvres de la voix, Marseille, Le Mot et le Reste, 2024, 264 pages, 23 euros.